L'ECRIT DE JOIE

L'ECRIT DE JOIE

Les dunes

 

                                                              Les dunes

 

      Il est huit heures. Un rayon de soleil inonde le mur de droite. Ma chambre d'hôtel est vaste. Je dors avec la porte fenêtre ouverte. Seules les nuits apportent un peu de fraîcheur. Je reste un moment à admirer ce mur. Son ocre clair évoque certaines toiles de Vermeer. Ces fonds que le peintre Hollandais aimait représenter derrière ses modèles. Dans les intérieurs intimes où il plaçait ses personnages. Il faut absolument que je me lève. Après les toilettes, je vais sur le balcon. L'animation règne déjà sur le ponton, là-bas. Ainsi que sur les quais du port. Le marchand de glace est présent. Des clients se pressent devant sa caravane bariolée. Ce van blanc qui avance doucement, longeant la mer. Serait-ce Odélie qui se dirige vers le port ? J'aimerais en avoir le cœur net. En revêtant ma tenue de jogging, je me promets d'aller courir vers les bateaux. Pour aller voir.

 

      Je prends l'ascenseur. Dans le restaurant, le bourdonnement continu des clients qui bavardent. Je prends un copieux petit déjeuner. C'est étrange. Je projette l'image d'Odélie sur toutes les jeunes filles assises là. Cette hantise m'amuse. Me voilà à l'arrière du grand bâtiment. Quelques mouvements d'échauffement. C'est parti. Bien évidemment je prends la direction des quais. C'est surtout le parking sur la gauche qui attire mon attention. Plutôt les vans blancs stationnés là. C'est en courant que je passe entre eux. Je me maudis de n'avoir pas relevé la marque ni le numéro d'immatriculation du véhicule. Je me promets de le faire dans l'éventualité d'une nouvelle entrevue. Hier, sur les galets, lorsque nous parlions, je lui ai laissé ma carte. Avec une certaine désinvolture, elle l'a fourré dans son petit sac à dos. Mais les filles, ça perd ou ça égare l'inutile.

 

      Je reviens pour dix heures. Je prends tout mon temps. J'aime traîner longuement sous la douche. Surtout que la salle de bain de l'hôtel, spacieuse, est agréablement décorée. D'une couleur caramel. Dont certains carreaux muraux ont en relief un coquillage à chaque fois différent. Il est onze heures. Je consulte ma boîte mail. Avec le secret espoir d'y trouver un message d'Odélie. C'est frustrant de ne pas le trouver. Dans ma frustration, cette absence me semble d'une ingratitude crasse. Je me résonne. Si toutes les jeunes femmes que je rencontre durant mes fréquentes pérégrinations devaient me faire un courriel le lendemain d'un moment passé ensemble, j'aurais de quoi remplir un cahier d'écolier. Mon ressenti me fait rire. Mon auto dérision vient rapidement au secours de ma déception.

 

      Odélie possède mon numéro de téléphone. Odélie possède mon adresse mail. Hier, lorsque nous dégustions nos glaces, à cette terrasse devant la mer, elle m'avait confié prendre en considération ma proposition d'un bon restaurant ce soir. Me viennent à l'esprit ses allusions quant aux dunes où elle aime à errer. Je me souviens très bien de ses paroles. Pourquoi ne pas provoquer le destin ? Après tout, je passe devant ces dunes presque tous les jours. Pour aller sur la plage. Où pour aller en ville. Des dunes qui s'étalent sur environ un kilomètres sur la droite, face à la mer. Il y a de nombreux arbres. Des canisses. De ces broussailles sèches qui affectionnent le sable. Ces dunes montent vers le haut où se déroulent des champs cultivés. Il a là une chapelle gothique. La destination d'une de prochaines explorations. Nous sommes mardi. Je suis dans la région jusqu'à dimanche.

 

      Je mange à la terrasse du dernier restaurant à la sortie du bourg. Au bout de la route qui longe la mer. Confortablement installé à ma table, savourant des coquilles Saint Jacques à la crème d'asperges. Là-bas, à quelques distances, je regarde les dunes. Bien évidemment, au passage de chaque camionnette blanche, mon cœur fait un saut dans ma poitrine. Je n'ai même pas le moindre indice visuel qui me permettrait d'identifier celle d'Odélie. J'écoute les conversations des clients assis à proximité. Il y a des Anglais. Ma langue natale. À chaque fois surgit du plus profond de ma psyché cette saveur élégiaque rassurante. J'ai envie de me mêler à la discussion. Je m'abstiens quelquefois de justesse. Je traîne jusqu'à l'addition. Je roule lentement. Me faisant dépasser à grands coups de klaxons et d'accélérations rageuses par d'irascibles automobilistes pour qui les limitations de vitesses restent visiblement un concept abstrait.

 

      Je gare la voiture sur le parking. Il ne reste que quelques places affichées sur le tableau lumineux. Des loueurs de canoés, de parasols, des vendeurs de glaces. Il y a du monde à la terrasse du bar. Sous le large auvent de la boutique à souvenirs. Des multitudes de ballons y flottent. Je change mes baskets contre des sandales. Bien plus pratiques pour évacuer le sable. Je porte mon bermuda brun. Un T-shirt beige. Une casquette à la marque de mes guitares préférées. Martin & Cie. Mes larges Ray-Ban "aviateurs". Mon image de "play-boy" Américain que reflètent les vitrines me fait sourire. Mon petit sac sur le dos. Je prends le sentier marqué entre deux rangées de canisses. Une dizaine de mètres. Je prends celui de gauche. Il montre en pente douce. Les chênes verts, les pins, offrent autant d'endroits ombragés. Je tombe plusieurs fois sur des gens allongés à deux ou seuls sur des tapis de sol.

 

      Très rapidement, en m'enfonçant dans le labyrinthe je me retrouve loin du bruit de la route. J'avise l'ombre qu'offre ce grand chêne vert. Seule essence feuillue à pousser dans le sable parmi les résineux. Personne. Je suis entouré des collines que forment les dunes. Le calme. Je déroule ma natte que j'étale sur le sable. Je retire mon bermuda, mon T-shirt. Cette fois j'ai un véritable slip de bain. En lycra noir. Moulant. Je vérifie la bonne connexion de mon I-phone. Tout est parfait. Ma pomme, mes barres de céréales, ma thermos d'eau glacée. Mon livre. Une biographie d'Élisabeth Vigée Lebrun, ma peintre du dix huitième siècle préférée. Je m'allonge. L'agréable fraîcheur me plonge presque instantanément dans une sorte d'enchantement paradisiaque. Mon sac à dos fait office d'oreiller. Me voilà princièrement allongé. Je me les gratte, décontracté.

 

      Je suis plongé dans une lecture captivante. Perdant toute notion du temps. Pas un souffle de vent. De très loin me parviennent les cris sur la plage pourtant distante de plusieurs centaines de mètres. << Milka ! Milka ! Viens là ! >>. Je regarde. C'est une jeune femme qui appelle l'affreux petit chien qui renifle mes pieds. Un petit chien d'une laideur affligeante. Quand il se voit découvert, il a un sursaut. << Milka, viens là, laisse le monsieur tranquille ! >> fait encore la jeune femme en tapotant sur ses genoux, penchée en avant. Milka ne se montre pas très obéissant. Je me redresse. Assis, je caresse l'hideux canidé. Il me fixe de ses yeux noirs exorbités. << Bonjour ! Rassurez-vous, il n'est pas méchant. Juste curieux ! >> rajoute sa propriétaire. Une belle quadragénaire, grande, brune, filiforme.

 

      Vêtue d'une courte jupette claire, bleue, à motifs floraux, d'un T-shirt vert et de tongs. Le chien refuse de la rejoindre. Il renifle mon sac à dos. Je rassure la jeune femme. Je ne suis pas du tout dérangé. Elle s'approche en secouant la laisse qu'elle tient à la main. Cette menace semble être radicale sur l'animal. Il obtempère enfin. Il se met à courir vers sa maîtresse. Cette dernière me salue avant de disparaître derrière la dune. Je replonge dans ma lecture. Il se passe peut-être un quart d'heure. Quelle surprise. Milka vient me donner un de ses petits coups de museau complices. Je reste couché sur le dos. À présent il renifle mon slip de bain. La jeune femme apparaît à son tour. << Milka, laisse le monsieur tranquille ! >> lance t-elle. Elle agite la laisse. Ce qui a le même effet radical sur le comportement du petit animal qui file.

 

      << Bon après-midi ! >> me fait encore la jeune femme en disparaissant. Je viens de prendre conscience que je suis peut-être passé à côté d'un "bon plan". Elle était sexy, attractive et probablement dans ma tranche d'âge. Ou pas loin. Cette pensée me procure une légère érection. Très agréable de bander à l'ombre quand il fait si chaud. J'aime faire bouger mon érection par petites contractions des muscles fessiers. Sensation plaisante qui peut m'emmener à l'extase. Abîmé dans ces réflexions, faisant bouger mon sexe au rythme de mes contractions, je ne m'aperçois pas que la jeune femme repasse une troisième fois. Je m'en rends compte. Trop tard. Je suis "fait" ! Elle fixe ce qui bouge dans mon slip. Elle m'adresse un étrange sourire. Le toutou se précipite. Il se remet à renifler mon slip de bain. Mon profond embarras doit être apparent. Me revoilà l'adolescent timide et honteux de jadis.

 

      Je suis extrêmement gêné. << Oh, n'ayez pas peur, il ne fait rien ! >> s'écrie la jeune femme. Je suis en appui sur mes coudes. Je contrôle mon sentiment d'inconfort mental. Je n'ai que cette solution. Je reprends mes contractions fessières. Ma turgescence bât la mesure à deux temps. Silencieuse, amusée, la belle inconnue reste à regarder. Le clébard hume ce qu'il prend certainement pour une bête qui habite sous le lycra noir. << Milka, viens ! Arrête ! >> lance sa propriétaire. Je dis : << Rassurez-vous je ne mords pas non plus ! >>. En éclatant de rire la jeune femme agite la laisse. Le chien la rejoint en courant. Tous deux disparaissent rapidement par le même sentier. Cet épisode m'a excité. Le sourire et l'expression de cette belle inconnue m'ont troublé. Je regarde partout autour de moi. Ma main dans mon slip.

 

      J'en extrais ma turgescence. Couché sur le dos, au mépris d'un risque éventuel, je me masturbe un peu. Espérant secrètement le retour de la promeneuse et de son chien. Je n'attends pas longtemps. À peine cette pensée formulée, la voilà. Cette fois son chien en laisse. J'ai la soudaine certitude que tout cela n'a rien à voir avec le hasard. C'est la résultante d'une volonté délibérée. C'est sûr. Son sourire, sa façon de lancer : << Oh pardon, excusez-moi ! >> viennent conforter ma certitude. Je remballe à toute vitesse. Trop tard. Elle m'observait peut-être en secret depuis quelques minutes. Je ne réponds pas. Que pourrais-je bien dire ? La jeune femme reste un instant immobile, fixe une nouvelle fois la bosse énorme qui déforme mon slip. Elle tourne des talons en répétant : << Bon après-midi ! >>. J'ai envie de l'inviter. D'engager une conversation. Que d'occasions manquées par manque d'initiative de part et d'autre !

 

      Je dis : << Peut-être à tout à l'heure ! >>. Elle se retourne pour m'adresser le plus merveilleux des sourires. À peine a t-elle disparu que je reprends ma douce masturbation. Priant les dieux du plaisir de m'accorder un cinquième passage. De longues minutes s'écoulent. Mon excitation s'amenuise pour disparaître. Je reprends mon livre. Après tout, si cette belle inconnue veut donner une suite à notre aventure, elle sait où me retrouver. << Milka, Milka ! Ne va pas renifler la queue du monsieur ! >>. Je me redresse instantanément. Je reconnais cette voix. Comme halluciné, redressé, je découvre Odélie. Singeant la jeune femme au chien. Au bout d'une corde elle tire une vieille bassine en plastique. Elle s'arrête. La caresse, la tance vertement. Elle répète : << Milka ! Milka ! >>. J'éclate de rire. Je retrouve cet humour auquel je pense depuis ce matin. Je pourrais me lever, la prendre dans mes bras. Autre frustration douloureuse...

 

      << Milka ! Milka ! Et mon cul c'est du poulet ! >> s'exclame t-elle. Elle tire la bassine pour venir s'assoir à côté de moi. Odélie rajoute : << Si la dame au clebs revient, je gâche la fête. Tant pis ! >>. Je cache mon enthousiasme. Je suis fou de joie de la revoir. Mon cœur bat la chamade. Jusque dans mes tempes. Odélie porte une jupette kaki, un T-shirt crème, des claquettes. Assise en tailleur elle me raconte sa journée en feuilletant mon livre. Je réponds à ses questions. Comme hier, elle aussi jette des coups d'œil furtifs sur mon slip. Tout est "calme" et au "repos". Mais si elle continue à scruter, la "chose" risque de changer. Nous restons à bavarder. Je demande : << Mais dis-moi ! Comment tu connais le nom du clébard et que c'était une femme ? >>. Odélie me regarde un instant. Elle m'explique : << Ben j'étais assis là-haut. Ça fait une heure que je te mâtais. J'ai tout vu ! >>. Je regarde le sommet de la colline. La rambarde blanche.

 

      Elle agite un index menaçant en précisant : << J'ai tout vu ! >>. Soudain Odélie se lève. Comme mue par ressort. << Je vais encore aller rôder un peu. J'aime me balader toute seule. Ça marche toujours le restau pour ce soir ? >> demande t-elle en secouant le sable qui macule sa jupette. Elle retire ses claquettes pour les taper l'une contre l'autre. << Je te laisse Milka ! >> conclue t-elle en me montrant la bassine. C'est en riant que je la rassure. << On se voit à dix neuf heures ? Devant le phare où on était hier ? C'est OK pour toi ? >> lance t-elle. Je réponds : << Pas de soucis ! >>. Sans répondre, Odélie s'en va en abandonnant la vieille cuvette de plastique bleu. Je regarde longuement cet objet insolite.

 

      Certainement trouvé dans le sable. Cette fois, pour éviter d'être confronté à ma libido, je m'allonge sur le ventre. Je me plonge dans la lecture. Difficile de m'y consacrer totalement. Je me frotte un peu. Je suis encore sous le coup de mes émotions. Deux émotions. Ni Odélie, ni la dame au clebs ne refont leurs apparitions. Il doit être dix huit heures. Je remballe mes affaires. En revenant à la voiture, je cède à la tentation d'un esquimau glacé. Un bonheur supplémentaire. Avec la mer qui monte, la masse des baigneurs se resserre.

 

      Je suis assis sur une des bornes reliées par une grosse chaîne. Je consulte mon téléphone. << Je suis à l'heure. C'est rare mais j'ai faim ! >>. Je lève les yeux. À contre jour avec le soleil qui forme une auréole de lumière autour de sa tête, Odélie. Impossible de voir ses traits. Je me redresse. Range mon téléphone. << Tu es resté encore longtemps avec ton "machin" ? >> demande Odélie d'un ton espiègle. Mutine, elle rajoute : << Pardon, avec ton bouquin ? >>. Une fois encore, en marchant près d'elle, je suis pétri d'émotion. Je joue une comédie qui me déplaît. Mais c'est la règle des civilités. Même si je la devine dans une sorte de transgression permanente, cette fille transpire la joie de vivre et la liberté. Un de ces êtres qui vous recharge. << Wouah ! La bagnole ! >> s'exclame t-elle retrouvant ma grosse berline Allemande. J'ouvre sa portière. Odélie s'installe sur le siège passager. Je démarre en demandant : << Tu veux rouler ? >>

 

      Ma complice décline ma proposition. << J'aime me faire conduire ! >> dit elle en posant ses pieds sur le tableau de bord. Il y a une dizaine de kilomètres jusqu'au restaurant étoilé où j'ai réservé une table. << Put-Hein, tu t'emmerdes pas toi ! Le guide Michelin, trois étoiles, la Mercedes. Le grand jeu quoi ! >> rajoute t-elle. Attablés sous la pergola qui donne sur la mer, entourés de palmiers en pots, nous dégustons un délicieux repas. La brise du soir est un bonheur supplémentaire. Odélie confie d'amusantes anecdotes vécues au hasard de ses pérégrinations. Je crois bien que je suscite bien davantage de curiosité de sa part car elle oriente la conversation sur ma personne. Je n'aime pas trop parler de moi. Je pose la question à la con de rigueur : << Et tu voyages toute seule ? Pas de mec ? >>. Elle répond du tac au tac : << Un mec, tu crois que je vais m'emmerder avec un mec ! Et puis quoi encore ! >>. Nous en rions aux éclats.

 

      << Et toi, pas de meuf ? >> demande t-elle. Je raconte quelques aventures racontables. Ma vie de couple qui s'est arrêtée brutalement. Une fin causée par une fatalité mortelle. Il y a déjà quelques années. Très rapidement j'oriente la discussion sur des choses beaucoup plus légères. Odélie, avec un ton enjoué, me dit : << Les mecs qui sont tombés amoureux de moi sont actuellement tous dans des unités de soins psychiatriques ! Je les rends dingues. Mais pas comme tu crois. Non, c'est parce que je suis folle dingue ! >>. Nous éclatons de rire. Il n'y a pas grand monde sur la terrasse. L'addition. << Demain soir, je t'invite dans mon "château" sur roues. Barbecue de poissons et de fruits de mer. Ça te dit ? >> s'exclame t-elle. Je suis absolument ravi. Sans pouvoir cacher ma joie. Nous retournons à la voiture. Odélie ne veut toujours pas rouler. Je la dépose devant l'entrée d'une aire réservée aux campings cars et aux vans à la sortie du bourg.

 

      En sortant de la voiture, Odélie lance : << Demain, je traîne dans les dunes et dans les alentours. Sinon, rendez-vous ici à dix neuf heures ! >>. Sans me laisser le temps de dire quoi que ce soit, elle tourne les talons pour filer à toute vitesse entre les caravanes. En revenant à mon hôtel, amusé, je me dis que je serais volontiers pensionnaire d'une unité de soins psychiatriques après ces vacances...

 

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29/04/2024

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