L'ECRIT DE JOIE

L'ECRIT DE JOIE

La chapelle - Partie 1

 

                                                            La chapelle

 

        Nous sommes déjà mercredi. Je m'en vais dimanche. C'est la première pensée qui m'assaille en me réveillant. Un peu plus de huit heures. J'admire ce rayon de soleil qui magnifie le mur à droite de mon lit. La vaste chambre d'hôtel me paraît plus grande encore. Le lustre qui pend au milieu des moulures du plafond. Les milles éclats de ses gouttes de verre bleuté. Les boiseries sur lesquels sont accrochées des reproductions de toiles de maître. Le besoin naturel qui contraint mon levé me frustre quelque peu. Une fois encore je me promets de m'accorder davantage de temps en ce lieu. Lire. Écrire. Comment le pourrais-je avec cette météo magnifique ? Après les toilettes, je décide de me faire monter le petit déjeuner. Je n'attends pas longtemps. Voilà le groom. Il avance le petit chariot. Je lui donne un billet.

  

       Je mange de bon appétit en faisant le très vague programme de la journée. Mon esprit recommence à être pénétré des souvenirs de la veille. La soirée au restaurant avec Odélie. Beaucoup des paroles de la fille au van me reviennent. Ses fulgurances, ses affirmations. Autant de considérations qui m'interpelle. J'ai l'âge d'être le papa de cette étonnante jeune fille. Et pourtant je peux passer des heures à l'écouter. À l'entendre philosopher sur ses perceptions du monde qui nous entoure. Elle a probablement bien davantage de choses à m'apprendre avec sa vie nomade que moi avec mon existence sédentaire. Je termine mon copieux petit déjeuner. Je revêts ma tenue de running. Un petit tour sur le balcon. Je scrute chaque van, chaque caravane qui passe. Déjà dans l'ascenseur je fais mes flexions du torse.

 

      Mon jogging m'emmène le long de mon circuit quotidien. Bien évidemment, je viens courir entre les campings cars et les vans garés sur le parking devant le port. Avec le secret espoir de tomber sur Odélie. Elle m'a confié être très sportive. Il y a donc peut-être une chance. Même si je sais que son van n'est sans doute pas là. Juste des associations d'idées qui me comblent de joie. Il est dix heures lorsque je suis sous la douche. C'est en simple T-shirt et en slip que j'allume mon Mac. Avec une fois encore l'espérance d'un courriel qui est cruellement absent. Je me maudis. Une fois encore je suis victime de mon sentimentalisme absurde et totalement inconvenant. Mais j'aime me bercer d'illusions. Par contre j'ai un mail de mon expert comptable. Un message de Sophie.

 

      J'en prends connaissance distraitement avant d'y répondre tout aussi distraitement. Il va être l'heure de mon entraînement en salle. Deux fois par semaine, j'aime manipuler des charges additionnelles. Il fait tellement beau. Tellement chaud déjà. Pourquoi ne pas simplement aller flâner sur les quais ? Il y a la criée. Je reprends l'ascenseur. Il n'est que onze heures et la température est de 28°. Je suis en short blanc, en T-shirt blanc, des espadrilles blanches, un chapeau blanc. Mes Ray-ban "aviateur". Qu'il est plaisant de savourer le moment. J'avise ce restaurant au bout de la jetée. Ce n'est nullement un établissement gastronomique comme je les affectionne. C'est un simple bar restaurant touristique. J'y réserve une table. Je consulte le menu affiché. Ce sera langoustes grillées avec pommes frites.

 

      Je me balade encore un peu. Les filles sont belles, riantes, insouciantes. Les garçons sont facétieux. Des couples en goguette. Des familles parfois bruyantes. Des "Simpson" en vadrouilles. Il va être midi trente. Je regagne le restaurant. Ma table m'attend à l'intérieur. Dans ces suaves effluves de vacances où se mélangent des odeurs de grillades, de beurre rance et de fritures. C'est "populaire". Donc bruyant. Rien de comparable avec les lieux étoilés du guide Michelin ou du Gault & Millau. Mais après tout, un petit bain de foule "lambda" aura son charme. Je suis étonné par la qualité du service autant que par la qualité du repas. Je me régale. L'addition. En sortant sous le cagnard, je vais au bord de la jetée. La mer est basse. Les odeurs fortes me montent aux narines. Un léger vent du large.

 

      Je regarde les dunes, là-bas, à environs deux kilomètres. Vingt minutes à pieds. Je sais qu'Odélie aime y aller flâner. Je retourne d'abord à l'hôtel pour préparer mon petit sac à dos. Mettre un short beige moins salissant. Un T-shirt crème, des baskets parce que j'ai l'intentions de monter en haut des dunes. Il y a des chemins à travers champs. La chapelle néo gothique que je veux enfin visiter. La thermos d'eau glacée, les barres de céréales, deux nectarines bien fermes. Ma minuscule paire de jumelles et cette fois mon appareil photo. Un gros Lumix bien lourd. C'est parti. Je longe la mer sur ma droite. À gauche les terrasses des bars restaurants qui se succèdent. Un monde fou partout. Vivement les dunes. J'y arrive enfin. L'ombre bienfaisante des chênes verts. À gauche il y a la plage.

 

      Je prends le même sentier que hier. Le labyrinthe des collines que forment des milliers de tonnes de sables accumulées par les éléments. Comme hier je tombe quelquefois sur des solitaires avachis sur des serviettes de bain. Des couples parfois. Tous ces gens qui préfèrent la solitude plutôt que l'effervescence de la plage. La pente est douce. Les sentiers provisoires formés par le vent serpentent entre les collines blanches. J'arrive en haut. Il y a une clôture électrifiée qu'il faut longer sur une centaine de mètres. Les vaches qui m'observent. Je leurs parle, je les salue, je leurs adresse des coucous de la main. Là-bas, à environ cinq cent mètres, la chapelle. C'est un peu mystérieux. J'imagine facilement l'ambiance quand les journées sont grises. Un peu comme dans mon Écosse natale. Je longe le grand champs de maïs.

 

      Il n'y a personne. Du moins en apparence. En fait, c'est plus grand que je ne le supputais. Ce serait plutôt une petite église. Avec une nef transversale assez imposante. Un édifice qui doit mesurer une centaine de mètres sur une trentaine de large. Un clocher. Le silence est lourd. Plus aucun bruit ne provient de la mer. J'entre dans l'édifice. Il y règne fraîcheur et pénombre. Cette odeur caractéristique des lieux de cultes. Peut-être les effluves d'encens, de sauge se mêlant à celles du vieux bois de chêne des bancs. Sept colonnes de chaque côté. Jusqu'à la nef. Un hôtel de pierre recouvert d'un velours carmin. L'endroit respire le mystère des lieux solitaires. Mais ce n'est qu'illusion car un tableau d'affichages annonce les prochaines activités paroissiales et associatives. Un vide grenier.

 

      Je fais le tour dans un sens, puis dans l'autre. Même si je ne me voue à aucun culte traditionnel, j'éprouve toujours un certain respect pour ces édifices dévots. Les vitraux tamisent la lumière pour les transformer en rayons multicolores. Les clefs de voûtes représentent de petits démons grimaçants. Un peu à l'image des gargouilles extérieures. L'endroit est un enchantement. Je savoure cette douce fraîcheur assis sur un des bancs, dissimulé de l'entrée par une colonne lorsque des murmures se font entendre. Je suis de nature discrète. Je ne me retourne pas. Bientôt, dans l'allée centrale, un trio de visiteurs avance lentement. Ce sont des asiatiques. Très certainement les parents et leurs filles. Ils ne m'ont pas vu. Ils vont jusqu'à la nef, puis jusqu'à l'hôtel. Ils murmurent. On entend à peine.

 

      Les asiatiques sont des gens extrêmement discrets. Secrets. Ces touristes en sont un parfait exemple. Ils se séparent. Chacun allant découvrir un endroit particulier. Sur ma droite il y a un vieux confessionnal en bois de chêne. D'épais rideaux verts de chaque côté du compartiment réservé à l'officiant. C'est la jeune fille qui arrive. Elle vient de m'apercevoir. Me prenant sans doute pour un fidèle en méditation. Elle m'adresse un sourire. Ses longs cheveux noirs forment un écrin autour de son visage en amande. Tous comme ses yeux bridés. Elle est en T-shirt blanc, jupette "tennis" bleue. Des baskets. Je lui rends son sourire. Il y a toujours quelque chose d'éminemment troublant dans ces situations. Ma sensibilité à fleur de peau m'en fait encore la victime en cet instant. Je la regarde.

 

      Elle visite. Elle écarte le rideaux du compartiment de droite. Elle monte la marche pour y pénétrer. Referme le rideau derrière elle. Que peut-elle bien faire ? Ma curiosité se colore d'une excitation insidieuse. Là, dans l'obscurité, quelqu'un s'est caché derrière l'épais rideau d'un vieux confessionnal. Inutile d'avoir une libido débridée pour être animé d'insolites interrogations intimes. J'ai une explication. Une série de flashes lumineux. Sans doute que la jeune asiatique prend des selfies. Ses parents se rejoignent là-bas, devant l'hôtel pour s'assoir sur le premier banc. Le rideau s'ouvre enfin sur la jeune fille qui se réajuste. Elle passe dans l'autre compartiment. Le rideau à nouveau tiré. J'aimerais tant me lever en cachette pour aller faire mon voyeur. Jouer à l'abbé confesseur dans le compartiment peut-être. Cette idée me fait sourire. J'imagine le genre d'abbé...

 

      Je me touche. Mon érection contrariée est inconfortable. Je passe ma main dans mon short par le haut pour redresser mon sexe. C'est infiniment plus confortable qu'enroulé et tordu au fond de mon slip. Comme il ne se passe toujours rien. Je sors ma turgescence. Ce qui se passe là m'excite vraiment. À nouveau des flashes lumineux. Le rideau qui s'ouvre. La jeune fille qui se réajuste. Je la vois tirer sur sa jupette. L'avait-elle relevée pour quelques photos polissonnes ? Je me plaît à l'imaginer en me masturbant doucement. Il est tout à fait impossible de voir à quelle activité je m'adonne. Le dossier du banc devant celui où je suis assis me dissimule. La jeune fille m'adresse un nouveau sourire. Plus désarmant cette fois. Avant d'entrer dans la partie centrale réservée aux prêtres. Elle y pénètre. Elle referme derrière elle la porte aux fines dentelles de bois sculpté. De l'endroit où elle se trouve à présent, elle peut parfaitement voir ce que je fais.

 

      D'abord hésitant. Je cache mon sexe avec le petit sac à dos que je serre contre ma cuisse. Malgré l'obscurité il est évident que le mouvement de mon bras trahit mon geste lent et régulier. Là-bas, le couple bavarde en chuchotant. Ces gens sont venus profiter de la fraîcheur de la chapelle. Mais que peut bien faire la jeune fille dans cette espèce de grande armoire ? J'hésite. Je sais qu'elle regarde. Mon sixième sens est infaillible. Je retire le petit sac à dos. Je tiens mon érection à sa base, entre le pouce et l'index. Immobile. Je sens la sueur perler sur le bout de mon nez qui me chatouille. Mon cœur bat la chamade. J'ai du courant électrique qui parcourt mon échine. J'ai des frissons. L'indicible plaisir que procure la transgression. Je tourne soudain franchement la tête vers le confessionnal.

 

      Je ne sais pas si ce sont mes sens qui me jouent un tour mais je crois entendre comme un léger gloussement. Je recommence à me masturber. La porte s'ouvre lentement. Le sourire merveilleux que m'adresse la jeune fille me donne le vertige. Je suis en proie à la honte, à la gêne, à l'excitation. J'ai envie de m'excusez. De tomber à genoux pour implorer son pardon. Quel meilleur endroit qu'une église pour implorer le pardon ! Elle reste un instant à me sourire. Comme pour me rassurer. Non. Je ne commets là aucun péché semble t-elle vouloir me faire comprendre par son attitude. C'est en tous cas ce que je ressens. Elle s'en va d'un pas lent. Une dizaine de mètres. Elle se retourne pour me sourire à nouveau. Assises aux côtés de ses parents elle se met à converser. J'ai peur d'une dénonciation toujours possible. Je me maudis d'être aussi téméraire et futile.

 

      Je me lève. Je dois quitter cet endroit. Je remballe avec soin. Je saisis mon sac et je sors. Le battant de gauche grince affreusement. Me voila en pleine lumière. Il me faut remettre mes lunettes. Je reste à l'ombre du tympan. Un léger vent des terres m'enivre de douceurs. La cloche se met à sonner quatre coups. Seize heures déjà. La porte grinçante s'ouvre. Le couple me salue poliment. Ils se dirigent vers le chemin qui longe le champs de maïs. Ils n'ont pas fait cent mètres que leur fille sort à son tour. Au merveilleux sourire qu'elle m'adresse, j'ai la certitude de ne pas avoir été dénoncé. Elle s'arrête un instant pour fouiller le petit sac qu'elle tient en bandoulière. Elle en tire une image qu'elle vient m'apporter. C'est en Anglais qu'elle me prie de la garder toujours en souvenir. Je reste hébété. Je tourne la petite carte. Je lève la tête mais la voilà à marcher rapidement pour rejoindre ses parents. Que d'émotions en si peu de temps.

 

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05/05/2024

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