L'ECRIT DE JOIE

L'ECRIT DE JOIE

La chapelle - Partie 2

                                                    La chapelle - (Suite)

 

      Je reste un long moment assis sur le muret de pierres. Je regarde le trio s'éloigner. Je tourne et je retourne cette petite carte. L'image représente un papillon posé sur une fleur. Une illustration japonaise au dessin raffiné. Qu'elle peut bien être la signification de ce cadeau ? Je ne vois plus personne. Une légère émotion m'habite un instant. Je me lève pour retourner dans la chapelle. Comme pour un "pèlerinage". Je veux retourner m'assoir au même endroit. Revivre le "film". Je sais pourtant que cette émotion sera décuplée. Je suis d'une telle sensibilité. Pourtant je ne peux m'empêcher de jouer avec ce sentiment parfois douloureux. Mes yeux doivent s'habituer une nouvelle fois à la pénombre. Le contraste est plutôt violent avec la lumière de ce soleil qui illumine toute chose d'une lumière presque impudique. La fraîcheur de l'endroit apporte du réconfort. Surtout en quittant la canicule.

 

        Je ne rêve pas. Une forme féminine assis à l'endroit même où je l'étais il n'y a pas vingt minutes. Comme un fantôme. Je reste immobile. Je ne discerne que le haut d'un buste, à contre jour. Le halo multicolore des rayons distribués par les vitraux. Il est impossible qu'elle soit revenue. Il n'y a qu'une seule porte. Je m'avance dans l'allée centrale. Quelle n'est pas ma surprise. Une véritable stupeur d'une fraction de seconde. C'est Odélie ! Je m'immisce entre les bancs pour la rejoindre. Je m'écrie : << Mais comment es-tu entrée ici ? C'est impossible ! >>. Odélie tapote le banc pour m'inviter à venir m'assoir. Elle change de position pour s'installer à califourchon sur le banc. Son regard plongé dans le mien. La fille au van reste silencieuse. C'est comme si elle était descendue au plus profond de mon être. Une étrange sensation. Je suis soudain à nouveau cet adolescent de quinze ans que je m'efforce de cacher au monde dans lequel j'évolue.

 

       De longues minutes passent ainsi. Pour me donner une certaine contenance, occuper le silence lourd et pesant, je change moi aussi de position. Pour m'installer comme elle. Nous nous faisons face. Un mètre tout au plus doit nous séparer. J'ai envie de poser mille questions. Enfin, Odélie ouvre la bouche. << Regarde là-haut, tu vois le balcon en bois. Les vitraux ronds de l'œil de bœuf ? Il y a là un orgue. J'y étais bien avant que tu n'arrives ! >> dit elle à voix basse. C'est comme si tout s'effondrait en moi. J'ai envie de partir en courant. J'ai envie de me cacher sous le banc. J'ai envie de disparaître. Cet aveux m'emplit de honte. Je suis certain de ne jamais avoir vécu situation plus humiliante. Comme si elle appréciait son petit effet, Odélie redevient silencieuse. Une expression mutine sur les traits de son visage.

 

       Je n'ose pas lever les yeux. Je tripote mes doigts. Le profond sentiment de culpabilité qui m'habite me donne le vertige. J'ai vraiment honte devant cette jeune fille qui me jauge avec une certaine "cruauté" théâtrale. S'amusant visiblement du désarroi induit dans ma psyché. Un nouveau long moment de silence. Odélie murmure : << J'ai tout vu ! >>. Je ne dis rien. Elle m'a dit la même chose hier, dans les dunes. Entre deux apnées, je pousse un profond soupir en essayant de retrouver une respiration normale. J'attends la suite avec anxiété. Odélie reprend : << Elle avait quoi de spéciale cette meuf, pour te mettre dans ces états là ? Sa jupette ? Ses baskets ? >>. Je sais bien qu'elle ne pose pas une question mais que c'est une réflexion à haute voix. << Mais dis quelque chose ! Tu es comme un gamin qui a fait une grosse bêtise ! Comme un gosse ! >> rajoute t-elle en imitant un accent "chinois" et en bridant ses yeux de ses index.

 

        Ces paroles, prononcées d'un ton emprunt de compassion, me soulagent. Me rassurent. Ses mimiques asiatiques. J'ai envie de rire. Odélie ne porte aucun jugement sur mon comportement. J'ai apprécié à quelques occasions, les deux jours précédents, son intelligence, le recul qu'elle sait porter sur les évènements et sa capacité à exprimer ses ressentis. J'ose enfin lever la tête. J'ose enfin la fixer dans les yeux. Son sourire est désarmant. << Si on veut déguster un barbecue de fruits de mer, il va falloir profiter de la marée basse pour aller les trouver ! >> dit elle. L'atmosphère pesante n'était donc qu'un sentiment personnel. Ces mots achèvent de me sortir de cette sorte de torpeur culpabilisante. Je m'écrie : << Tu sais qu'on peut aller acheter le nécessaire dans la poissonnerie sur le quai du port ! On peut même se prendre des sardines pêchée du jour ! >>

 

        Odélie recommence à m'observer de cette étrange façon. Elle finit par lâcher : << Mais tu as de bonnes idées toi, tu sais ! Quand on te voit faire tes bêtises, on n'imaginerait pas ! >>. L'ambiance est définitivement détendue. Je demande : << Raconte-moi ta journée ! >>. Odélie ne répond pas. Elle se contente d'une série de mimiques. Se bridant les yeux avec les index. Elle est adorable. Je fond en cachette. Je dois réfréner l'envie presque dévastatrice de m'avancer. De lui faire une bise. C'est une fille. Elles devinent toujours tout les filles. << Aujourd'hui, j'ai fait de la lessive, j'ai fait le plein des jerricanes, j'ai fait quelques courses, mon jogging, ma douche et mangé des fruits ! >> lance t-elle. Elle rajoute : << Puis je suis venue me promener dans les dunes. Je t'ai vu arriver et je me suis précipitée pour te précéder. Tu as même failli m'apercevoir juste avant que je ne me cache dans le maïs. Avant d'entrer ici. Que voudrais-tu encore savoir ? >>. Je reste perplexe.

 

        Odélie se lève, s'extirpe de l'inconfort de sa position. Se dirige vers le confessionnal. Elle attrape le bas de son large et court short noir en disant : << J'ai pas de jupette. Ça ira quand même ? >>. Je reste médusé. Debout devant le compartiment de gauche, s'emparant du rideau, montant la marche, Odélie rajoute : << J'aimerais savoir ce que cette jeune asiatique a induit dans ta psyché durant sa découverte ! Un remake "sel te pli" ! >>. Ma profonde gêne, ma honte, me gagnent aussi soudainement. Je n'arrive même plus à déglutir. << Tu as l'air terrifié ! Tu as vu Lucifer ? >> lance Odélie avant de tirer le rideau pour se dissimuler dans le compartiment. Comment vais-je pouvoir gérer ce que me demande cette étonnante jeune fille ? Je ne la connais que depuis trois jours. Je ne me sens pas encore assez complice pour ces jeux. Dans ma tête se met en route la mécanique nécessaire pour trouver une issue. Me tirer de cette affaire.

 

        Du bruit. Des voix. Un groupe de visiteurs entre dans l'édifice. Je pousse un douloureux soupir de soulagement. Ces gens me tirent d'une situation terrorisante. Comment aurais-je réussi à reproduire les situations précédentes ? Et avec Odélie ? Il m'est impossible d'y répondre. Toujours est-il qu'alertée elle aussi par les arrivants, Odélie vient me rejoindre. << Viens, je te fais voir le balcon et l'orgue ! >> dit elle en prenant ma main. L'émotion qui m'étreint soudain est indicible. Odélie lâche rapidement ma main pour m'inviter à monter le premier les marches de l'étroit escalier. Je m'y précipite. Odélie me suit. Nous arrivons sur un large balcon. Sur la gauche un grand orgue. Moderne. Contrastant avec la vétusté du mobilier qui l'entoure. << Regarde ! >> lance Odélie en me montrant la salle.

 

       Je constate que de cet endroit stratégique, le regardant a une vue générale sur l'ensemble de la chapelle. << Tu comprends ? >> me fait encore ma guide. Je réponds, un peu gêné : << Oui, je comprends tout ! >>. Odélie rajoute, en pointant l'index vers son œil droit : << Je t'avais à l'œil. Et le bon ! C'est celui-là ! >>. Elle me fait un clin d'œil. Elle conclue : << Tu n'as pas honte ? >>. Une fois encore j'ai l'envie folle de la couvrir de bises. De la remercier d'exister. Bien évidemment, je n'en montre rien. Pour donner le change je feuillette même un vieux livret de partitions. Nous entendons les gens en bas. Probablement des Hollandais. Trois familles. << On s'arrache ? >> me demande Odélie. Je descends l'étroit escalier après elle. Une fois dehors, sous le soleil encore chaud, ma comparse me dit : << On ira au ciel, on a passé l'après-midi dans une église ! Et même toi ! >>. Nous rions aux éclats en longeant le champs de maïs jusqu'aux dunes. << On s'amuse bien parfois dans ces dunes ! >> affirme t-elle en dévalant les sentiers.

 

       Nous marchons sur la plage. Les pieds dans l'eau, nos chausses à la main. La mer monte. Détruisant les nombreux châteaux de sable. C'est sympathique de se retrouver à l'ombre des falaises. Il va être dix neuf heures. << Tu sais que la poissonnerie va fermer ? >> lance Odélie en se mettant à sautiller dans l'eau, mouillant son short ample. Je réponds : << Pas de barbecue. Restaurant. Mademoiselle, je vous invite à savourer de délicieux crustacés dans un établissement "classe" ! >>. Odélie s'arrête. Reste immobile. Me dit : << Mais tu sais que cela ne me frustre pas du tout. On fait barbecue demain ! >>. Ces mots me pétrissent d'émotions. C'est très certainement sa façon de m'apprendre que nous serons à nouveau ensemble demain. C'est moi qui me met à sauter dans l'eau.

 

       Attablés sous la pergola du restaurant de mon hôtel, nous savourons du homard grillé. << C'est bon à tomber parterre ! >> lance Odélie à plusieurs reprises. Nous bavardons. J'arrive adroitement à éviter de parler de moi. C'est la vie de ma "nomade" qui me subjugue. J'admire son courage. Sa détermination de vivre en marge. Elle me raconte les cueillettes de fruits et de légumes en Espagne. L'argent ainsi gagné qu'elle gère en expert comptable. J'écoute, émerveillé. Après le repas, je lui fais visiter ma "suite" au cinquième étage. Le luxe la laisse indifférente. Elle s'amuse du gigantisme de ma location. << Pour toi tout seul un terrain de basket avec salle de bain, jacuzzi et dressoir ! Tu dois t'emmerder non ? >>. Dans l'ascenseur qui nous ramène dans le hall de l'hôtel, je dois affronter une épreuve supplémentaire. J'ai tellement envie de la serrer contre moi. De la remercier pour tous ces merveilleux moments. Bien évidement j'évite. Secrets.

 

       En la raccompagnant, conduisant lentement, j'écoute ses impressions. Tout comme moi, Odélie quitte la région Dimanche. Elle sera en Espagne dès lundi matin. Mon cœur se serre. Le plus difficile reste de cacher tous sentiments. Le défi consiste à ne rien montrer des élans de l'âme. Nous arrivons devant la barrière baissée de l'aire de stationnement. Là où est garée le van d'Odélie. << À demain. Pour de nouvelles aventures. Tu vas encore t'ennuyer avec la fille au van ! >> dit elle en effleurant mon bras. Je fais des efforts inconsidérés pour ne rien dévoiler de mon émotion. Avant qu'elle ne descende de la voiture, je lance : << Emmène-moi avec toi ! >>. Odélie hausse les épaules avant de répondre : << Pour que tu fréquentes les églises dès que j'ai le dos tourné ! >>. Je la regarde s'éloigner. D'un mouvement gracieux, les jambes jointes, en appui sur ses mains, elle saute la barrière. Sans se retourner. C'est soudain immensément triste.

 

      Moi qui aime la solitude. Cette solitude qui me semble soudain vertigineusement insupportable. J'ai un mal fou à m'endormir...

 

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05/05/2024

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