L'ECRIT DE JOIE

L'ECRIT DE JOIE

La rencontre

 

                                                            La fille au van

 

Il n'est que onze heures ce mardi matin. La chaleur est déjà accablante. Ce mois de juillet commence par une séquence caniculaire. J'avise le parking de l'hypermarché. Avant d'aller me garer à proximité de l'abri à chariot, je me dirige vers la station service. Avec les chaleurs de ces trois derniers jours la voiture est couverte de poussière. Sur le noir, ça ne pardonne pas. Ça fait sale. Je roule au pas pour m'engager dans un des trois tunnels. Je coupe le moteur. Je sors du véhicule avec ma carte de crédit. En choisissant le programme de lavage, je vois arriver un van blanc. Je n'y prête pas véritablement attention. Je retourne à mon auto pour saisir le pistolet à eau dont j'entends les trépidations.

 

Je tourne autour de la voiture pour y projeter de l'eau savonneuse. Effet Karcher garanti. En plus fort encore. Soudain, là-bas, sur la droite, de l'arrière du van blanc dont les portières sont grandes ouvertes, tombent des cartons, des emballages. << Mais merde ! >> s'écrie la jeune fille brune qui saute de son véhicule. En maugréant, elle se met à ramasser ses affaires. Elle me voit. M'adresse un rapide et furtif sourire. Je suis amusé de la voir ramasser et jeter sans ménagement les objets à l'arrière de son van. En short et en T-shirt, elle s'affaire ainsi pieds nus. Je rince mon auto que la mousse recouvre. La pression puissante permet un nettoyage parfait. Me voilà propriétaire d'une voiture propre.

 

Je démarre pour venir m'aligner le long de la rambarde. Je profite de la circonstance pour vérifier le gonflage des pneus. Je suis accroupis au sol. Mécaniquement je regarde en direction du van. J'entends la fille : << Mais bordel ! >>. Je l'imagine entrain de sa battre avec quelques emballages rétifs, refusant de rester en place. C'est un grand bidon qui roule au sol. La jeune fille saute à pieds joints pour le récupérer. Elle se dirige vers ici. Il y a deux éviers et deux robinets juste à côté de la borne de gonflage. Nous échangeons un nouveau sourire. Cette fois, je regarde mieux. Elle est belle. Ces cheveux presque noirs encadre un visage avenant. Je la regarde discrètement. Aussi belle de profil.

 

Je raccroche le câble de gonflage. Le manomètre indique la pression parfaite par ces grosses chaleurs. Je démarre. Dans le rétroviseur je vois la jeune fille portant à deux mains son bidon rempli d'eau. Il doit être lourd. J'hésite. De nos jours, sourire à une inconnue peut faire passer un homme pour un pervers. Alors si en plus ce même homme propose ses services, c'est carrément de l'ordre du délit. Je préfère m'abstenir. Je traverse les allées de manières transversales pour aller me garer près d'un des abris à chariots. Je repère mieux la voiture.

 

Je pousse mon caddie dans les allées de l'hypermarché. Il n'y a pas trop de monde. J'apprécie la climatisation. Il y fait très agréable. Je flâne un peu dans les rayons où je n'ai besoin de rien. J'ai le désir de profiter de la douce fraîcheur qui règne dans cette grande surface. Le rayon culturel où je feuillette quelques magasines. Le rayon informatique où sont exposés les ordinateurs, les téléphones, les accessoires. Je passe dans les allées des vêtements hommes. Par association d'idées je regarde un peu les maillots de bain, les sandalettes en plastiques. Elles sont pratiques pour marcher les pieds dans l'eau sans risquer de se blesser sur les galets. Il m'en faudrait une nouvelle paire. Bleue.

 

Il est temps de m'occuper des courses que je suis venu faire. Le rayon des fruits et des légumes. J'admire les brumisateurs qui humidifient certains agrumes. Quelle n'est pas ma surprise. La jeune fille du van. Elle tient une liste de courses en tirant un panier rouge sur roulettes. Elle est grande, athlétique. Elle semble concentrée sur sa feuille de papier. Je crois même la voir énumérer la liste car ses lèvres bougent. Une fois encore, je la regarde discrètement. Je fais semblant de scruter des pommes que je tourne longuement dans ma main pour pouvoir loucher vers la fille sans qu'elle ne le remarque. C'est du moins ce que je crois. Car lorsque ses yeux croisent les miens, nous nous sourions.

 

J'ai envie d'aller vers elle. Mais pour dire quoi ? Passer pour un dragueur de supermarché ? J'évite. Ma raison reste la barrière qui empêche cet élan pulsionnel. Discrètement, toujours en faisant mine d'examiner des fruits, je la suis du regard. Sa façon de se déplacer. Ses attitudes. Tout cela devient rapidement comme un spectacle. Je devine une personne optimiste, pleine de vie et son dynamisme suscite l'admiration. La jeune fille du van ne s'attarde pas. Chacun de ses mouvements paraît répondre à un fonctionnement où prévaut la méthode. Je me dirige vers les caisses. Je ne pense déjà plus à la fille. La caissière, probablement une étudiante, me reçoit avec un beau sourire.

 

Je range mes achats dans le coffre de l'auto. La chaleur est difficilement supportable. Je fais tourner le moteur et fonctionner la climatisation. Chez Mercedes tout est très rapide et surtout efficace. Je range le chariot en récupérant le jeton vert. Là-bas, la jeune fille du van. Elle trimballe deux grands sacs en se dirigeant vers son véhicule. J'avais vu le grand ventilateur au-dessus du volant. Est-ce suffisant pour rouler sous cet ardent soleil ? C'est sur ces considérations que je démarre. C'est à dessein que je passe devant le van. La fille est probablement occupée derrière car je ne la vois pas. Alors que j'ai subitement l'envie folle de la voir. Je passe dans l'autre allée, lentement.

 

Je la vois. Les deux portes grandes ouvertes. Elle range certainement ses courses. Évidemment, elle ne prête aucune attention aux voitures qui circulent sur le parking. Arrivé au bout de l'allée, je fais demi tour pour repasser une seconde fois. La fille ne se doute pas un seul instant de l'intérêt qu'elle suscite. C'est un peu une constante de la gente féminine. Les filles. Rien ne leurs échappe sauf ce que nous aimerions qu'elles remarquent. Cette fois, c'est pour de bon. Je sors du parking pour prendre la direction de la nationale. Quitter la zone commerciale. La climatisation est une bénédiction. Je roule dans une agréable fraîcheur. Je prends la nationale. Direction l'océan à quelques kilomètres.

 

C'est à l'ombre d'un des platanes centenaires que j'installe mon fauteuil. Je le déplie en chantonnant. J'ai un bouquin à terminer. La fraîcheur toute relative sous le feuillage permet de rester à l'abri de la morsure du soleil. Dans la glacière branchée sur l'allume cigare, il y a toujours des jus de fruits et de l'eau. Je sirote avec bonheur tout en lisant. Il est presque 18 h. Je ferme mon livre. Je me lève. Je descends les marches du large escalier. Me voilà sur le sable. Je suis en bermuda kaki et en T-shirt crème. J'étrenne mes sandalettes en plastique bleu toutes neuves. Je ne rêve pas. Là-bas, sortant de l'arrière de son van, la jeune fille. En maillot de bain. Une sorte de joie euphorique m'envahit soudain.

 

Cette fois, tant pis, je me mets sur le chemin qu'elle est obligée d'emprunter pour aller sur la plage. Je m'assois sur le muret. J'allume mon téléphone. Je fais semblant de consulter des messages inexistants. La voilà. Elle porte un sac de plage d'où dépasse un plaid, une serviette. Je calcule l'instant précis pour lever la tête. Elle me reconnaît. Nous échangeons un nouveau sourire. Mon sang ne fait qu'un tour. Mais quel tour ! Lorsque le jeune fille s'arrête pour lancer : << Troisième rencontre avec les mêmes protagonistes ! >> mon cœur bat la chamade. Je ne suis pas très bon comédien mais je dois donner le change puisqu'elle ne remarque rien de particulier dans mon attitude. Je me sens con.

 

Que pourrais-je bien répondre pour paraître spirituel ? Parce que nous autres, les mecs, on a toujours besoin de paraître. Aussi, je ne réponds pas tout de suite. Elle continue son chemin en me souhaitant : << Bonne fin d'après-midi ! >>. Je réponds enfin alors qu'elle me tourne déjà le dos : << Bonne baignade ! >>. Elle marche une centaine de mètres. Se retourne soudainement. Mais que je dois être stupide à lever la main pour faire un signe. Peut-être pas puisqu'elle fait de même avant de disparaître derrière les dunes aux herbes raides, sèches. Je viens de me rendre compte que je n'avais même pas allumé mon téléphone. C'est sûr, elle s'est en est rendue compte. Elle m'a déjoué.

 

J'ai beau longer les dunes sans oser y pénétrer la jeune fille a disparu. Pénétrer dans le labyrinthe des dunes n'est pas une bonne idée pour jouer au hasard. Personne ne pourrait y croire. Et certainement pas cette fille dont le regard pétillant d'intelligence me verrait venir dans mes gros sabots de paysan. Ne désirant pas m'exposer encore davantage au ridicule, je retourne vers la voiture. Je m'installe dans mon fauteuil pour tenter de continuer ma lecture. Les scènes vécues défilent sans arrêts comme un film qui tournerait en boucle dans ma tête. Je tourne souvent la tête pour regarder le van, là-bas, à quelques centaines de mètres. La petite voix me dit : << Tu arrêtes tes conneries ! >>

 

Il est dix neuf heures trente. Il commence à faire faim. Je plie mon fauteuil, je remballe mes affaires. Je démarre. Le van est toujours garé là-bas, entre deux caravanes. Direction le petit bourg que je vois au sommet des collines. Je passe mes vacances en parfait aventurier. Je ne réserve toujours que les hôtels le long de mes parcours. Tout le reste est totalement improvisé. Je suis confortablement installé devant une table, sur la terrasse, sous une pergola. La vue sur la mer est magnifique. Je vais avoir droit à un couché de soleil de toute beauté. Je savoure mon plateau de fruits de mer en prenant tout mon temps. D'autres hédonistes aux tables voisines profitent de ce délicat moment.

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21/04/2024

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