L'ECRIT DE JOIE

L'ECRIT DE JOIE

Estelle, la jeune fille du conservatoire - (Épisode 42)

 

                                               De surprises en surprises

 

Le cours de jeudi se déroule lui aussi d’une façon anormalement "normale". Estelle n’est pas venue avant l’heure. Elle n'a pas un seul regard. À la fin de l'heure la jeune fille s’en va avec les autres élèves. Un peu comme si tout ce que nous avons vécu, tout ce que nous avons partagé n'avait jamais existé. Ma tristesse me submerge une fois encore. Jusqu’aux larmes. Chez moi, vers 20 heures, je reçois un texto. "Dimanche 14 heures, centre hippique. Venez, je vous en supplie". Je reste pantois. Médusé. Je confirme évidemment ma présence.

 

Je suis absorbé dans quelques rangements de documents lorsque la musique imbécile de mon téléphone se met à vibrer. Je décroche. << Bonsoir, c'est Solène. Je n'ai pas eu l'occasion de vous parler après le cours. Je peux venir ? >>. Je reste abasourdi. Je n'ai pas le temps de méditer longtemps. Trois coups de sonnette. Sur l'écran de l'interphone, la silhouette de Solène sur son scooter. J'ouvre. Elle descend en roulant doucement. Je l'accueille au bas de l'escalier. Elle met son engin sur béquilles. << Moi aussi je veux "apprendre" ! >> dit elle le plus sérieusement du monde. Alors que j'éclate de rire. Je dis : << Apprendre quoi ? >>. Elle répond : << Estelle m'a souvent raconté ! >>.

 

Décidément. Je vais de surprises en surprises. Moi qui croyait que la relation avec Estelle était un secret entre nous, je découvre qu'il n'en était rien. Pourtant, je reste vigilant. Les filles sont de rusées stratèges dans le domaine des relations. Je teste un peu le "savoir" de Solène pour très vite me rendre compte de ses affabulations. Ses affirmations sont basées sur des intuitions féminines. Je ne tarde pas à déjouer son "plan". J'hésite longuement. Je ne l'invite pas à entrer. Je n'ai pas une bite à la place du cerveau dans ces situations. Je me contente de répondre à tout cela d'une manière péremptoire et autoritaire : << Réfléchissez bien Solène. Prendre des "cours" avec moi demande réflexions ! >>. Elle me regarde. Elle me fait un beau sourire. Je conclue : << Rentrez vite chez vous. Soyez prudente. À mardi soir ! >>.

 

Dimanche je me réveille tôt après une série de rêves pénibles. La matinée est longue et mon impatience grandit de minutes en minutes. Je n'arrive pas à me concentrer vraiment sur mes tâches habituelles de ce jour de repos. Faire la cuisine est une passion. Sauf aujourd'hui où je vais à la simplicité la plus prosaïque. Des nouilles, du gruyère. Je suis à l’heure. Je marche dans les allées qui mènent aux gradins lorsque la voix de ma jeune étudiante me fait me retourner. << Monsieur ! Bonjour. Comme je suis contente que vous soyez venu ! >>. Estelle est suivie de ses parents et d'un jeune homme de haute taille, plutôt athlétique et souriant. Je salue les parents de la jeune fille et le garçon.

 

<< Je vous présente Jonathan ! >> me dit Estelle. Je serre la main de ce gaillard qui est encore plus grand que moi. Il dépasse allégrement le mètre quatre vingt dix. Sa poigne vigoureuse est celle d’un homme honnête, d’un sportif. Nul doute que la situation de la jeune fille et de Jonathan doit être "officialisée" depuis peu. Estelle prend la main de Jonathan et me fait un sourire apaisé. Curieusement je le suis aussi. Toute tristesse vient de me quitter. Quel soulagement de vivre soudain sans oppression. Avec les parents d'Estelle nous bavardons un peu.

 

J’assiste à l’épreuve et à la prestation d’Estelle. Je suis assis à la droite de Jonathan. Les parents de la jeune cavalière à ma gauche. Jonathan se penche vers moi pour glisser à mon oreille : << Merci pour tout. Estelle m’a tout raconté ! >>. Je reste totalement interloqué. Consterné. Tout au fond de moi un malaise. J'aurais aimé que cette merveilleuse histoire reste secrète, enfuie dans le cœur d'Estelle. Malgré mon étonnement, je m’entends répondre : << Je crois qu’elle est entre de bonnes mains ! >>. Je trouve subitement mon propos ridicule. Il me montre ses poignes en riant. Pourtant le jeune homme me fait encore : << Elle vous en sera toujours reconnaissante. Moi aussi ! >>.

 

Qu'un jeune homme de 24 ans puisse avoir une telle lucidité me laisse perplexe. À l'entendre s'exprimer, je comprends que ce garçon est très intelligent. Il affiche lui aussi cette allure "aristocratique" naturelle des "gagnants". Un être plein de finesse d'esprit sans doute. A la fin du concours, je suis invité à la remise des prix et au pot de l’amitié. Estelle a remporté haut la main la première nomination dans la catégorie où elle excelle. Le saut d’obstacle. Je la félicite. Parmi les nombreuses personnes présentes, durant un bref instant et discrètement elle a l’opportunité de me glisser à l’oreille : << Je t’aime encore, je dois en guérir ! >>. Je lui fais un sourire rassurant. Je la devine. Elle tempère avec peine le désir de se précipiter dans mes bras. Je chuchote juste à temps : << Moi aussi ! Je suis en pleine convalescence de toi ! >>.

 

Le soir, dans le calme et la "rédemption", je suis à faire un peu de repassage. Soudain un coup de sonnette. Je me précipite dans le hall d'entrée. Sur l'écran de l'interphone quelle n'est pas ma surprise. Estelle, là, debout devant le portail. Tenant sa bicyclette. J'ouvre. Elle descend le chemin en courant à côté du vélo qu'elle jette sur le gazon. Il fait plutôt frais en ce début de mois d'avril. Une fraîcheur où se mêlent pourtant déjà les suaves effluves du printemps à venir. Elle tombe dans mes bras en sanglots. << C’est trop dur ! C’est si dur de vivre ! >> s'écrie t-elle en larmes. Je la serre fort. Je la berce longuement pour la calmer. Nous restons ainsi très longtemps dans la nuit.

 

Estelle est victime de cette dernière pulsion. Cette pulsion qu'ont les êtres capables de reconnaissance. Elle est venue témoigner de la sienne. Je suis touché. Je ne partage pas tout à fait son sentiment. J'ai déjà tourné la page. J'ai cette faculté extraordinaire de vivre les ruptures de façon "chirurgicale". << Je m’en vais. C’était si bien avec toi ! Tu m’as tout appris. J’ai l’impression d’avoir vécu un rêve. Il faut que je me fasse violence. Ce sera difficile mais il y a la patience de Jonathan ! >> lance t-elle en tentant de se détacher de moi. Je l’écarte lentement en la tenant par les épaules. << Il faut y aller Estelle, maintenant. Ne te retourne pas sur le passé. Tu ne peux rien faire avec. File ! >>. La jeune fille à le merveilleux sourire de l'adieu. Elle se détourne, ramasse sa bicyclette pour s’enfuir sans se retourner.

 

Je la regarde depuis le haut de l'escalier du perron. Estelle arrive au portail. Elle s'arrête. Se retourne pour m'adresser un signe de la main. Je fais pareil. Je rentre au chaud. Je m'affale dans le fauteuil du salon. Moi aussi je dois me faire violence. Je ne suis pas nostalgique du passé. Tout comme le présent il est inutilisable. Seul l'avenir m'intéresse. Je suis serein. J’aime cette fille. Je sais les différents rôles que j’ai interprété avec et pour elle. Curieusement je n’éprouve aucune tristesse. Mon sentiment reste intact. Je referme définitivement ce livre. Il va rejoindre mes autres aventures sur le rayon des souvenirs.

 

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25/11/2022

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