L'ECRIT DE JOIE

L'ECRIT DE JOIE

Estelle, la jeune fille du conservatoire - (Épisode 43)

  

                                                          Épilogue

 

Durant les semaines qui nous séparent des vacances de Pâques, les cours se déroulent avec une normalité que j’avais oublié. Estelle arrive à l’heure, bavardant souvent avec d’autres élèves. Rien ne peut laisser imaginer à qui que ce soit qu’entre la jeune fille et moi il y eut une des plus merveilleuses histoires. Elle quitte le cours avec les autres, en me saluant de la même façon. Capacité toute féminine de passer à autre chose de la manière la plus insouciante. Je reste toujours admiratif devant cette particularité qui ne concerne pas seulement les sentiments.

 

C’est après le dernier cours, avant les vacances, qu'Estelle laisse un billet plié à mon attention sur son pupitre. Je vérifie toujours afin de récupérer les oublis. Le plus souvent des stylos. Je déplie ce papier avec d’infinies précautions. Je lis cette phrase d’innombrables fois. D'une belle écriture il est écrit : "Je suis chez vous samedi à 14 h". Je serre ce petit billet contre mon cœur. Un bonheur sans nom me submerge. Je me surprends à sauter, à chantonner en quittant la salle de cours. De petites surprises peuvent changer nos existences. En bien, en mal.

 

Le samedi arrive enfin. Je suis sur mes gardes, envahi d’une impatience folle. Les trois coups de sonnette retentissent. Je me précipite dans le hall d'entrée. Là, sur l'écran de l'interphone, Estelle debout devant le portail, tenant sa bicyclette. Mon cœur bat la chamade. Je prends conscience d'être encore "convalescent", pas complètement guéri. J'appuie le bouton pour ouvrir. Je sors sur le perron. Estelle descend à toute vitesse sur son vélo. Elle le pose contre la rambarde. Elle monte les marches calmement. Nous nous faisons la bise. Nous jouons ces personnages de "l'après". Faussement dépourvus de l'envie de nous serrer fort. Je l’invite à venir au salon. Je lui propose thé, café et petit gâteaux. Comme jadis. Elle se laisse tomber au fond du canapé en soupirant. << C’est génial de savoir que tu existes ! >> me fait elle.

 

En martelant les syllabes de ses mots, avec cette voix posée habituelle, Estelle se met à parler : << Jonathan est ingénieur informaticien. Il a monté sa boîte cet hiver et ça fonctionne déjà très fort. Je vais le rejoindre à Nantes et m’installer avec lui. Je continue mes études là-bas. Les parents de Jonathan ont fait connaissance des miens. Le courant passe très fort. En cas de pépins, ses parents prennent le relai ! >>. J’écoute tout cela avec ravissement. Que peut-il arriver de mieux à cette délicieuse jeune fille. Jeune fille de "bonne famille" ! À ces révélations mes dernières craintes s'envolent. Sa venue me laissait interrogateur et plein d'appréhensions. C'est donc un soulagement.

 

Je la félicite pour son esprit d’initiative, son courage et pour la nouvelle vie qui l’attend d’ici six mois. << C’est toi qui m’a "grandi". Sans notre aventure, jamais je n’aurais pu m’éveiller à tel point ! >> s'écrie t-elle en posant sa main sur mon bras. Estelle me fait un merveilleux sourire. En adulte responsable je tempère quelque peu son enthousiasme. Je lui rappelle que c’est d’abord ses capacités intellectuelles et ses ouvertures à la réflexion qui sont les déterminants de ce qui arrive. Je précise : << Estelle, après tout, je n'ai été qu’une sorte de catalyseur. Rien de plus. Les choses seraient arrivées d'une autre façon mais elles seraient arrivées ! Sois-en certaine ! >>. Elle écoute en silence.

 

<< On se fait un dernier après-midi de folie ? >> me demande t-elle soudain après un long silence. Sans me laisser répondre elle se lève pour se mettre à sautiller devant moi en applaudissant. Elle retombe dans le canapé en cachant son rire derrière sa main. Je m'installe plus près d’elle, un peu paternel, pour lui signifier : << Ce ne serait pas bien, ni pour toi, ni pour moi ! Il ne faut pas ouvrir des chairs qui sont entrain de cicatriser ! Ce serait détruire nos "reconstructions" ! >>. La jeune fille reste dubitative, presque étonnée. Je prends conscience une fois encore que c'est une jeune fille d'à peine vingt ans qui ouvre de grands yeux pour me fixer comme si j'étais soudain un inconnu.

 

Je ponctue mon affirmation en déposant un délicat bisou sur son front. << Ta sagesse est plus grande que la mienne ! >> fait elle en me prenant la main. je dis : << Tu sais Estelle, un jour tu me remercieras pour ne pas avoir accédé à cette dernière requête ! >>. Je caresse sa main à mon tour. Nous restons silencieux à nous observer en coin. Plusieurs éclats de rire soulignent notre complicité revenue. Elle frotte le petit gâteau qu'elle prend dans la coupelle pour le passer sur mes lèvres. J'en mord un bout. Elle met en bouche l'autre partie. << C'est génial ! >> s'écrie t-elle. Elle s'assoit sur mes cuisses, ses bras autour de mon cou. Elle rajoute : << Tu seras toujours là pour moi ? >>

 

Je réponds : << Tout comme toi, je vais vers la prochaine aventure ! >>. Estelle, d'abord tristounette, puis comme soulagée, me fait plein de bises. Rassurée et heureuse elle se lève pour de bon. Je la raccompagne jusqu'à sa bicyclette. Il est 16 h30. Je la regarde partir depuis le portail. En montant la légère pente en direction du bourg, elle s’arrête en haut. Elle se retourne. Elle reste ainsi un petit moment à me regarder. Nous observons tous deux ce qui va être notre dernière image d'ici quelques instants. C’est la dernière fois que je vois la jeune fille. Quelques courriels qui se diluent et s’espacent dans le temps pour disparaître définitivement au début juillet.

 

Cette merveilleuse histoire est encore en moi. Elle le restera probablement jusqu’à mon dernier souffle. Quand j'en parle à Clémentine elle est toute attendrie pour murmurer : << Tu es un sentimental un peu romantique ! Il faut que je te "soigne" ! >>. Nous en rions de bon cœur. Une légère nostalgie vient alors parfois m’envahir de quelques étranges frissons pendant la fellation. C’est Solène qui m’a appris qu'Estelle s’est installée avec Jonathan dans un grand appartement à Nantes. Au début du mois de septembre 2016... Merci Estelle. Du fond de mon cœur. Et bonne chance...

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28/11/2022

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