L'ECRIT DE JOIE

L'ECRIT DE JOIE

Gloryhole - Épisode 3

                                         Contrôle de routine sur mon circuit des trous.

 

Je passe une bonne heure au téléphone avec Anne-Marie. Nous avons toujours tant de choses à nous raconter. La quarantaine, séparée, elle est à se remettre lentement d'une histoire douloureuse. Je suis donc l'ami idéal à qui elle peut confier les affres de sa "convalescence". Mon optimisme, mon humour, ma propension naturelle à ne voir que le bon coté des choses la ravissent. Je sais la faire rire. Lorsque nous allons boire un bon chocolat ensemble, toujours dans le même salon de thé, j'adore la regarder à se tordre de rire. << Tu es mon médicament Julien ! >> dit elle alors. Après le décès de mon ancienne compagne je lui avoue que sa présence joue la réciproque. Je suis convaincu que c'est la seule thérapie qui fonctionne. L'amitié vraie et sincère. Nous flânons alors bras dessus bras dessous. Tournant en dérisions les évènements dramatiques de nos existences. Anne-Marie. Menue, athlétique, de longs cheveux noirs est une grande sportive. Un point commun. J'apprécie sa finesse d'esprit, son intelligence. Elle m'aime beaucoup. Mais nous prenons grand soin d'en rester à notre amitié sincère. Au moins durant sa période de thérapie. En n'excluant pas de laisser nos libidos nous jouer un jour un tour pendable. On aime la chair.

 

Elle veut absolument m'accompagner lors de mes tournées "trous". Mais à chaque fois un malheureux concours de circonstances vient gâcher son projet. Je la rassure avant de raccrocher. Nous finirons bien par y arriver dans les prochaines semaines. Hier après-midi, profitant de ce magnifique soleil de printemps, je projette mon expédition. Dans mon petit sac à dos, tout le matériel nécessaire. Aujourd'hui ce sera le circuit des collines. Un parcours magnifique que j'aime à pratiquer en toutes saisons. Je gare la voiture sur le parking du restaurant. Bien décidé à m'offrir un bel après-midi. Dans mon petit sac à dos, en plus de mes fruits secs, de ma pomme, de mes barres de céréales et de ma bouteille d’eau gazeuse, j’ai ma perceuse, mon papier à poncer et les quelques accessoires habituels. Il est important de bien le préciser alors que j'en refais encore l'inventaire. Je n'oublie rien.

 

Je garde toujours présent à l’esprit qu’une bonne marche est l'excellente opportunité pour effectuer un contrôle de routine quand à mes trous. La vérification. C'est un peu joindre l'utile à l'agréable. Je chausse mes grosses godasses. Je prends le sentier qui monte sur la droite du restaurant. Avec ce soleil il y a déjà des clients à rire et à bavarder sur la terrasse. Je traverse le pont en dos d'âne qui franchit le torrent. Me voilà sur le sentier des collines. Je prends l'intersection en direction des jardins privatifs. C’est en arrivant sur le circuit des cabanons de jardin, à flancs de collines, que je suis confronté à l’ignoble. En effet, quelle n’est pas ma désagréable surprise de découvrir qu’un de mes splendides trous a été fermé. Si ! Un carré de bois, cloué ou vissé, condamne le trou magnifique. Une de mes plus belles créations. Une œuvre dont j'étais fier. Est-ce un peine-à-jouir, un coincé de la bite, un employé du Vatican, un jésuite castré ou encore un imbécile qui a ainsi bouché ce trou ? Privant une éventuelle gourmande de se régaler. Privant un coquin de plaisir. Quel n'est pas mon dépit.

 

Outre la malveillance évidente, l’acte de vandalisme ne fait pas l’ombre du moindre doute. Le fait d’avoir bouché ce trou de toute beauté est un acte délibéré. C'est une évidence. Il n’est pas rare que le propriétaire d’un cabanon, désireux de marquer son désaccord avec cette pratique, condamne un bel orifice réalisé avec amour. Comme une sorte de vengeance. De revanche. Une sorte de Zorro des bonnes mœurs. Souvent sur une simple impulsion. Croyant être un citoyen moral et "convenable" que ces pratiques scandalisent, le sinistre individu cloue le plus souvent un carré de bois pour obstruer l'ouverture circulaire. Je suis plongé dans ces réflexions lorsque mon I-phone se met à chanter. Je décroche. C'est Anne-Marie. Elle vient aux nouvelles en m'avouant regarder une vidéo "Japanese Gloryhole". << Je suis tombée sur un site où les films durent parfois plus de deux heures et ne sont pas floutés. Gratuits, en HD et sans pubs. Elles sont hyper coquines les Jap ! Ça te plairait. Sûre ! On se fait une soirée branlette, ça te dit un de ces jours ? >> s'exclame t-elle. Je la regarde sur l'écran de mon téléphone. Son expression coquine me fait sourire.

 

Je filme pour lui montrer l'objet de mon dépit. << Oh le salaud ! Encore une belle ordure ! >> lance t-elle choquée comme moi. Je la vois rire. Anne-Marie sait le soin rigoureux que j'apporte à ma passion pour les créations murales. << Je suis impatiente de t'accompagner, si tu savais. De te voir en pleine création est devenu un véritable fantasme ! >> précise t-elle. Je filme la planche qui obstrue mon trou. Si encore le bougre avait vissé une belle pièce de bois. Non, il s'est contenté d'un contre-plaqué. Certainement de qualité inférieure et de 8 millimètres d'épaisseur. De simples vis pour aggloméré. Elles seront faciles à dévisser. Anne-Marie me souhaite bon courage. Après le visionnage de son film elle devra faire ses courses pour le week-end. Deux collègues de boulots seront les compagnes d'infortune de sa soirée << Entre filles ! >>. Je lui fais plein de bisous virtuels. Elle est belle sur l'écran de mon téléphone. Je lui promets de faire un montage. Son visage encadré d'un cercle taillé dans la plus belle planche de palissandre. << Amuse-toi bien. Bisous ! >> me fait elle avant de déconnecter.

 

Les mains sur les hanches, je sens monter en moi une colère sourde. Aussitôt, contrarié et consterné, de mon sac à dos, je tire ma perceuse. L’équipant d’une mèche de 3 mm, j’amorce un premier petit orifice. Puis, prenant une mèche de type "cloche", appelée également "trépan", je creuse un trou d’un diamètre de 5 cm. Ces mèches scies permettent de pratiquer très rapidement un trou au diamètre souhaité. Avec le papier à poncer fin, "000", je pratique une superbe finition des bords. En passant le doigt je constate que c’est bien lisse. Exprès, par défi, pour bien faire comprendre à mon vandale que je récidiverai à chacune de ses nouvelles tentatives de détruire mon œuvre, je creuse cet orifice sur le vilain contre-plaqué. Je fignole à l'acrylique "terre de Sienne". C'est bluffant. Même si je sais qu'avec le temps ces fibres de bois agglomérées à la colle finiront par se déliter d'elles-même. Ces colles acrylates synthétiques ne tiennent pas dans la durée.

 

J'admire mon travail. Je passe l'index sur les bords. C'est lisse, c'est doux. Pour bien faire à cause de la qualité déplorable du contre-plaqué il serait préférable de coller une résine synthétique inaltérable. Je n'en ai pas dans mon sac. Je m'en veux. Moi, le MacGyver des trous, je pèche par omission. Je me promets d'y songer. À présent que le trou est sauvé et reconstitué, qu’il a retrouvé de sa prestance, il va me falloir être plus vigilant. Je remballe ma perceuse Black & Decker pour continuer mon circuit des trous. Soulagé, je constate que tout est en ordre. Les douze autres stations présentent des trous parfaits. Un peu d’entretien par ci et par là. J’arrache quelques premières ronces. Je ponce un peu le bord du dernier orifice. Je contrôle la douceur des bords avec l'index. Au sommet de la colline le dernier est exposé aux intempéries. C'est un cabanon qui sert également d'abri pour les marcheurs. Je ne sais pas si l'ouverture a déjà servi. Je ne vois aucune coulure.

 

Je suis satisfait. Nous voilà repartis jusqu’au début de l’été. Je reprends le chemin du retour. Serein. Je repasse devant mes créations murales en les admirant avec une certaine fierté. Comme ils sont beaux ces trous magnifiques. Ces orifices discrets et tellement insolites quand on les remarque. Invitant aux plus troublantes pensées des esprits les plus imaginatifs. Autant d'invitations aux plus suaves délices gastronomiques. Je me dis qu’il faut être sacrément cabossé de la calebasse pour vandaliser ainsi de merveilleux orifices. Pas toujours au nom de la morale. Non, juste pas connerie pure. Il faut avoir un sacré pet au casque pour s’en prendre à des trous. Sur le retour, en descendant, je prends une photo de chacune de mes œuvres. Je croise quelques randonneurs. Même un groupe de femmes pratiquant la marche Norvégienne, manipulant des bâtons. Peut-être l'une ou l'autre aura le privilège d'apercevoir une de mes créations. D'avoir une pensée amusée pour ce que cette œuvre évoque dans sa psyché.

 

Je sifflote. Je longe le torrent. Je chantonne la chanson de Serge Gainsbourg, "le poinçonneur des lilas" : << J'fais des trous, des p'tits trous, toujours des p'tits trous. Lalala. Des trous d'première classe, des trous d'seconde classe... >>. La bonne humeur revenue je salue les promeneurs d'un grand : << Bonjour ! >>. Je suis habité d'une authentique félicité. J'aime le travail bien fait. Je peux donc continuer, dans la plus parfaite tranquillité d’esprit, la conception et la réalisation de mes créations murales. J’ai en projet d’autres réalisations sur d’autres circuits. Notamment sur le sentier qui monte au vieux château. Il y a là un cabanon. Un abri pour les marcheurs. L’endroit idéal. Les amateurs d’Arts, les esthètes qui suivent et connaissent mes aventures, seront heureux d’êtres ainsi rassurés eux aussi. Show must go on. J’en profite pour leurs adresser toutes mes amitiés.

 

Votre créateur mural

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15/12/2023

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