L'ECRIT DE JOIE

L'ECRIT DE JOIE

Hasard heureux

 

                                                        La loi des séries

 

      Il est presque huit heures quand j'ouvre les yeux. Mon lit est placé face à la porte fenêtre grande ouverte qui donne sur le balcon. Je m'étire. Je me lève. Je me précipite aux toilettes. La journée s'annonce magnifique. Depuis le balcon, situé au cinquième et dernier étage de mon hôtel, je regarde la mer. L'animation qui règne déjà sur la route. Ce marchand de glace installé là-bas, à côté du kiosque à journaux, me donne mes premières envies de cette nouvelle journée. C'est le véhicule blanc qui passe doucement, pour se diriger vers le ponton, qui me fait penser à la fille au van. Cette inconnue me laisse une bien agréable impression. Elle a égayé un peu de mon après-midi de hier. C'est étrange mais elle s'est incrustée dans ma mémoire d'une façon extrêmement précise. Je me souviens bien.

 

      Je ne suis pourtant pas très physionomiste. C'est sur ces réflexions que je revêts mon short de lycra noir, mon T-shirt de lycra rouge. Mes chaussures de running. Je me mets de l'eau sur le visage au-dessus du lavabo. Dans l'ascenseur, je fais quelques flexions devant le miroir. Il y a du monde dans le restaurant. Je me fais servir un copieux petit déjeuner. Pas très diététique. Après tout, je suis en vacances. Dilettante insouciant et nonchalant. Me voilà derrière l'hôtel. Quelques mouvements d'échauffement. C'est parti. Mon jogging m'entraîne le long de la jetée, jusqu'au port de plaisance. Je croise d'autres joggeurs. De ces ravissantes joggeuses au physique de rêve, cheveux au vent. C'est curieux, en croisant chaque van, je regarde avec attention qui est au volant. Ce réflexe me fait sourire.

 

      Dix heures. Je prends ma douche en prenant tout mon temps. La porte fermée à clef car la femme de ménage est au travail. Vêtu d'un bermuda beige, d'un T-shirt crème, chaussé d'espadrilles, tenant mon petit sac à dos, je reprends l'ascenseur. Le parking souterrain où je récupère la voiture. Direction le port de pêche et la criée. J'apprécie de flâner sur les quais. Les chalutiers qui se croisent à l'entrée du port. Il y plein de touristes partout. Je regarde avec admiration les énormes araignées de mer, les homards aux pinces attachées par de gros élastiques. Les marins pêcheurs qui proposent des crustacés vivant capturés tôt, au levé du jour. J'avise la terrasse d'un des restaurants le long des quais. J'y réserve une petite table pour midi trente. Je vais feuilleter quelques journaux au bar tabac.

 

      Je prends mon temps, je suis en pleine "glande". Le soleil commence à taper. Il est le maître d'un ciel bleu d'azur. Là-bas, à marée basse, les carcasses de ces vieux chalutiers échoués. Témoins d'un temps révolu. L'endroit évoque Camaret. Même le gros phare fait penser à la Tour Vauban. Installé à ma table, entouré de touristes, je déguste mon plateau de fruits de mer. J'entends les conversations. Il y a du Hollandais, du Danois, de l'Allemand et des Anglais. Ma langue maternelle. Les Américains n'articulent pas. Qu'ils aient la bouche vide ou pleine, c'est toujours comme s'ils mâchaient un chewing-gum. Là ! C'est elle ! J'en suis certain ! Elle marche d'un pas rapide. Un petit sac sur le dos. Elle s'arrête pour prendre des photos. J'ai envie de me lever. J'ai envie de me faire remarquer.

 

      J'ai envie de l'appeler. Seule silhouette devenue malgré moi si familière. Ses cheveux flottent en liberté jusqu'au milieu de son dos. Elle est en jupette noire. En T-shirt blanc, sandalettes. Elle me paraît soudain si particulière. Unique. Évidemment, ce qui se passe le long des terrasses des restaurants qui s'alignent sur sa gauche l'indiffère totalement. Moi aussi, j'ai mon petit sac à dos. J'en tire la minuscule paire de jumelles. Je scrute. Je la regarde marcher, s'arrêter, repartir à nouveau, prendre des photos. Les trois cent mètres jusqu'au bout de la route. Elle tourne à droite pour prendre la jetée. J'appelle la serveuse. Je n'ai même pas commencé ma coupe glacée dont les boules ont fondu. Je paie. Je trouve qu'elle traîne un peu en me présentant le terminal. J'y introduis ma carte bancaire.

 

      Animé d'un seul désir, je me lève. Je me précipite entre les tables en mettant mon sac sur le dos. C'est d'un pas rapide que je longe à mon tour la mer. La jetée. Je mets mes lunettes noires de soleil. Ainsi je peux loucher dans toutes les directions sans que l'on sache où je regarde. Je scrute les environs avec l'attention d'un entomologiste. C'est elle que je veux voir. La fille au van. Mais bon sang ! Où est-elle donc passée ? Il n'y a qu'une seule possibilité sur les trois cent mètres de cette jetée qui ne fait pas plus d'une cinquantaine de mètres de large. Il y a plein de monde. Je suis dans la foule. J'arrive au phare. Monumentale construction massive qu'il est possible de visiter. Je la contourne. Avec la marée basse, il est possible de descendre sur la plage de galets. Les rochers de granit.

 

      Je passe par dessus la chaîne qui en interdit l'accès. Elle est là. Je suis sûr que c'est elle. Je descends jouant au touriste lambda. Évitant de regarder franchement dans sa direction au cas où elle me repérerait. Derrière mes verres fumés je peux loucher. Je contourne les rochers. Je croyais qu'elle était assise. Elle est accroupie, fouillant dans son sac. Cette jeune fille semble constamment dans l'action. Je reste à l'écart. Je la regarde. Je n'ai de yeux que pour sa silhouette. Rien n'exerce de plus délicieux tourments sur ma psyché qu'une fille, vue de dos, accroupie. Il y a une suave excitation qui monte du plus profond de mon être. Une chaleur dans mon ventre. Mon cœur qui bat la chamade. Comment vais-je bien pouvoir entrer en contact ? Cela me tracasse soudain. Je réfléchi.

 

      Après-tout, pourquoi ne pas rester naturel, de m'assoir, d'attendre que le destin écrive la suite de l'histoire. La fille se redresse. Elle attache ses cheveux avec un élastique. Elle retire son T-shirt. Un haut de maillot de bain noir. Je découvre son buste à la fois fin et athlétique. Ses muscles bien définis, spectaculaires selon ses mouvements, achèvent de me captiver. Elle s'accroupit à nouveau. Elle regarde la mer. Pensive. La situation perdure. Certainement pour éviter l'ankylose, la jeune fille se redresse. Puis elle s'accroupit une nouvelle fois. Mon érection contrariée, car coincée et tordue au fond de mon slip, commence à m'importuner. Je regarde autour de moi. Personne dans les environs immédiats. Les chaînes et les pancartes exercent un effet dissuasif sur les curieux. La crainte d'un danger.

 

      Seuls celles et ceux qui aiment la transgression s'aventurent par ici. La jeune fille que je regarde à une vingtaine de mètres, fait partie de ce "Club". J'hésite. J'ai envie de me mettre à l'aise. J'enlève mon bermuda. Mon slip ressemble à un maillot de bain. Je m'allonge sur le dos. L'énorme bosse qui le déforme enfin droite et raide m'apporte réconfort. La fille au van ne m'a toujours par repéré. Elle donne d'ailleurs l'impression de se moquer éperdument de tout ce qui se passe autour d'elle. Membre du même "Club" des insouciants. Par petites contractions des muscles fessiers, je fais bouger ma turgescence. Sous le soleil. Je ne cesse de loucher vers la fille derrière mes lunettes de soleil. Elle se redresse avec une barre de céréales qu'elle déballe. Elle se dirige vers l'eau avec précautions.

 

      Elle récupère une bouteille en plastique pour boire de l'eau fraîche. C'est là qu'elle se tourne. Je fais immédiatement semblant de consulter mon smartphone. En louchant bien évidemment. M'a t-elle reconnu ? Je fais bouger ma bosse. Impossible de ne pas remarquer ce qui remue ainsi dans mon slip. Elle reste un moment avec sa bouteille qu'elle porte plusieurs fois à la bouche. À présent elle regarde l'animation qui règne sur la route, là-bas, sur la jetée au-dessus. C'est absolument divin. Nous sommes seuls sur cette portion de rivage. La jeune fille regarde une nouvelle fois. Nul doute, ce qui bouge dans mon faux maillot doit l'interroger. Cette fois, elle observe longuement. Elle remet sa bouteille dans l'eau qu'elle coince avec un galet. Elle se met à marcher lentement en me fixant.

 

      Mon cœur bat la chamade. Jusque dans mes tempes. J'arrête mes petits agissements érectiles. Je suis trop gêné. Je me redresse pour m'assoir. Elle me reconnaît. Je fais semblant d'être étonné. Les filles ne sont pas dupes. Elles s'amusent de nos petites comédies mal ficelées. Elle s'approche. << Bonjour ! >> me fait elle. J'adore son attitude franche. Directe. Pas le genre d'individu à s'entourer d'inutiles inhibitions. Je réponds un peu bêtement : << Bonjour ! >>. Elle s'approche encore en demandant : << Vous permettez ? >>. Sans attendre ma réponse, elle s'assoit près de moi. Je peux voir sa culotte ou son maillot de bain noir sous sa jupe. Je trouve son attitude extraordinairement détendue. Nous bavardons, partageant quelques lieux communs de circonstances. Des civilités.

 

      << Moi, c'est Odélie ! >> lance t-elle. Je me présente à mon tour. Elle rajoute : << Nomade six mois de l'année ! Et toi ? >>. Je me présente. Je parle un peu de moi. Mais, de manière assez adroite, j'emmène Odélie à parler d'elle. Cette jeune fille n'est pas seulement attractive et charismatique. Son élocution et son expression orale captivent l'attention de l'auditeur. J'apprécie rapidement sa façon de développer ses phrases. Pleine d'humour. L'optimisme et la joie de vivre omniprésents , transpirent dans une attitude dynamique et volontaire. Je l'écoute comme je le ferais d'une musique "classique". Odélie tente bien de revenir sur ce qui me concerne. Parfois, elle jette un coup d'œil furtif sur mon slip. Elle s'est bien rendue compte que ce n'était pas un véritable maillot de bain. Ça me gêne.

 

      Par contre ma bosse a disparu. Moi aussi, j'ai quelquefois un regard furtif sous sa jupette. Ses positions alternent. Parfois en tailleur, quelquefois genoux relevés, les bras croisés sous les cuisses. Odélie paraît totalement indifférente à mes coups d'œil. S'en amuse t-elle secrètement ? De discrets penchants exhibitionnistes ? Toutes ces questions que j'aimerais aborder dans ma psyché d'homme. Dans le flot de la conversation j'apprends qu'elle passe quelques jours dans la région avant de descendre sur l'Espagne. J'ai envie de dire : << Tu m'emmènes ? >>. Je m'abstiens de toute considération de cet ordre. Moi aussi je suis dans la région pour la semaine à venir. Nous discutons en plein cagnard. Nous changeons d'endroit pour nous abriter à l'ombre des rochers. Je suis couché sur le dos.

 

      Odélie préfère restée assise. J'aime les mouvements de ses mains lorsqu'elle parle. Des mouvements à la fois gracieux et agiles. Ils traduisent le caractère volontaire de cette étonnante jeune fille. Elle me parle de sa Bretagne, de sa famille, de son besoin de quelques années sabbatiques pour construire une existence différente. J'écoute, admiratif. C'est comme un privilège de passer ce temps en si intéressante compagnie. J'en oublie parfois sa beauté particulière. Ses trait fins et réguliers. Ses sourires francs. Cette fille est d'un naturel rare. Doucement, ma bosse recommence à déformer mon slip. C'est bien involontaire. Un peu comme la tumescence du réveil matinal. Ce qui n'échappe pas à mon interlocutrice. Pourtant rien dans son attitude ne change. Comme si c'était naturel.

 

      C'est naturel. Tout à fait normal. Surtout que je regarde de plus en plus fréquemment le bas de son maillot de bain. Comme une culotte noire sous sa jupette. Elle sait bien que je regarde. Il y a depuis une demi heure des silences. Des échanges de regards, des échanges de sourires. Je me sens bien auprès d'elle. Peut-être est-ce réciproque. Il va être dix sept heures trente. La marée monte. Si nous ne voulons pas êtres recouverts par les eaux, il nous faut déguerpir. Nous nous levons. Odélie remet son T-shirt blanc, ajuste sa jupette. Je remet mon bermuda, mon T-shirt. Je propose : << On va se déguster une glace à la terrasse d'un restau ? >>. La jeune fille s'exclame : << Bonne idée ! Et tu vas m'inviter à manger ce soir, non ? >>. Nous rions en montant les rochers jusqu'aux chaînes.

 

      Attablés à la terrasse d'un des nombreux restaurants, nous dégustons d'énormes coupes glacées. Cette fois, pas d'échappatoire. Je suis obligé de répondre aux questions d'Odélie. Mon existence n'ayant pas grand intérêt à mes yeux semble en avoir aux siens. Je montre des photos de quelque unes de mes toiles. Je vais sur Youtube pour montrer quelques vidéos de mes compositions instrumentales. Odélie regarde, écoute, pose encore des questions, exige des détails. Doucement, s'en m'en apercevoir, je suis happé dans l'univers de cette jeune fille. Même si j'ai l'âge d'être son père, je suis parfois comme un petit garçon émerveillé. Ce qui semble beaucoup l'amuser. Nous flânons longuement jusque sur les quais du port de pêche. À présent la mer est haute. Plein de monde.

 

      Il fait enfin moins chaud. Comme si Odélie me voyait venir avec mes gros sabots, elle lance soudain : << Non, pas de restaurant ce soir. Je vois des amis voyageurs pour un barbecue. Mais si tu veux venir ! >>. Je décline l'invitation. Elle dit encore : << Par contre demain soir, ce serait sympa ! Demain après-midi, je traîne dans les dunes ! J'adore les dunes ! >>. C'est un peu comme si Odélie m'envoyait un "message" en précisant une seconde fois son plaisir d'errer dans les dunes. Je comprends le message. Je l'accompagne jusqu' à son véhicule. << Viens, je te fais visiter mon château ! >> dit elle en ouvrant les portes arrières. Cet un espace confiné, réduit, mais agencé avec intelligence et subtilité. Pas un centimètre carré qui n'a une fonction précise. Odélie m'apprend que c'est elle qui a tout aménagé. << On ne fini jamais d'inventer des trucs ! >> précise t-elle.

 

      La visite terminée, s'installant au volant, elle lance : << Demain, près du phare, dix huit heures ! Ça te va ? >>. Je veux répondre lorsqu'elle rajoute : << À moins que tu aimes traîner dans les dunes ! >>. Sans me laisser dire quoi que ce soit, l'étonnante jeune fille accélère. Me faisant un dernier coucou. Le véhicule monte la pente pour disparaître dans le flot de la circulation. Je reste un moment comme cloué sur place. Je dois trouver la formule idoine pour passer d'un état à un autre. C'est presque une question de raison. Odélie me laisse là, déstabilisé et "perdu" dans des pensées confuses. En marchant pour revenir à ma voiture, je ne cesse de prononcer ces mots à voix basse : << Comme c'était bien. Comme c'était bien ! >>. Je mange à la terrasse du restaurant de mon hôtel. Seul...

 

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21/04/2024

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