L'ECRIT DE JOIE

L'ECRIT DE JOIE

L'île - Partie 1

                                                      L'île - Partie 1

 

      Il est huit heures ce jeudi matin. J'ouvre les yeux. Ce mur illuminé par les rayons du soleil me fascine. Je ne peux le quitter des yeux. Jusqu'à ce que l'impérieux besoin naturel ne me laisse d'autres choix que d'aller aux toilettes. J'hésite. Prendre mon petit déjeuner dans ma chambre ? Prendre mon petit déjeuner au restaurant de l'hôtel ? J'opte finalement pour le premier choix. Ce qui me permet de rester en slip. Je téléphone à la réception. Le groom frappe à la porte une quinzaine de minutes plus tard. Il connaît mes largesses et pousse le chariot devant le fauteuil. Je lui tends son billet. Il me remercie. Presque obséquieux dans ses manières. Très efféminé, il me fait un beau sourire avant de refermer la porte derrière lui. Amusé, je savoure un copieux petit déjeuner. Un bon jus d'oranges.

 

      J'enfile mon short de lycra noir. Mon T-shirt de lycra rouge. Mon I-phone fixé à mon bras, je règle l'application. Rythme cardiaque. Nombre de pas. Distance parcourue. Dans l'ascenseur je pratique mes flexions de buste. À l'arrière de l'établissement je fais mes mouvements d'échauffement. Il y a une jeune femme qui s'échauffe également à une dizaine de mètres. Je l'ai croisé dans l'hôtel à quelques reprises depuis dimanche dernier. Nous échangeons un sourire. Elle démarre la première pour monter du parking souterrain jusqu'à la route. Une fois échauffé, je fais la même chose. Je prends la direction du port. Entre la route et la piste cyclable il y a le large trottoir que je parcours avec plaisir. Tous les matins. Avec ce réflexe de scruter chaque van qui me dépasse. Par association de pensées, Odélie revient habiter mon esprit.

 

      J'évolue à bonnes foulées depuis dix minutes. Au-dessus des quais du port de plaisance à droite, au-dessus des quais du port de pêche à gauche. Il n'est que neuf heures et il y a déjà un monde fou. Pas seulement des touristes mais également des autochtones friands des produits de la mer de toute première fraîcheur. Il faut louvoyer entre les piétons, les joggeurs et les promeneurs. Une jeune fille me dépasse avec un rythme soutenu. Je regarde mieux. Mais, c'est Odélie ! M'a t-elle reconnu ? J'ai envie de l'appeler. J'évite de me faire remarquer ainsi. Je déteste le manque de tact. J'accélère. Je finirai bien par la rejoindre avant la place de la Mairie, là-bas. Mais c'est elle qui se retourne. Sans cesser de courir sur place. Toute contente de la plaisanterie qu'elle vient de me faire. << Bonjour. Vous courrez toujours tout seul monsieur ? >> lance t-elle.

 

      J'arrive à sa hauteur. Je saute également sur place. Je réponds : << Bonjour Mademoiselle. Ne sachant comment vous joindre, je ne peux vous inviter à venir courir avec moi ! >>. Nous rions. Je suis fou de joie. Cette rencontre, inespérée, m'emplit d'une intense félicité. Odélie rajoute : << On va régler ça pour demain matin ! >>. Nous nous mettons à courir côte à côte vers la Mairie. La place carrée, entourée de palmiers en pots géants, nous offre un peu d'ombre. Le soleil tape. Autant s'en protéger. << J'ai un bateau pour midi. C'est le fils du patron du parc à vans. Il peut nous emmener sur l'île et nous rechercher en fin d'après-midi ! >> m'apprend Odélie. Nous prenons la direction du musée botanique. La boucle nous ramènera au port. Nous restons silencieux. Consciencieux et concentrés.

 

      En arrivant au port, je propose à Odélie de venir prendre sa douche à l'hôtel. Puis de la reconduire jusqu'au parc à van. << Non, c'est gentil, mais je n'ai pas de fringues de changes. On se voit un peu avant midi ici. On embarque dans le Zodiac gris, là-bas. Tu fais les sandwichs, j'emmène les fruits et la flotte ! >> lance ma complice. Sans attendre ma réponse, elle démarre un sprint pour s'éloigner à toute vitesse. Je la regarde. Ce physique d'athlète me subjugue. Elle n'est pas seulement réactive mais gracieuse dans ses mouvements. Elle disparaît rapidement dans le flot touristique. Je cavale jusqu'à mon hôtel. Ma douche que je fais durer. Mes pensées totalement focalisées sur ce nouveau rendez-vous. Décidément, la vie me réserve plein de belles surprises. Je m'habille de mon bermuda kaki, de ma chemisette beige. Baskets.

 

      Je prends l'ascenseur. Il y a une supérette à une centaine de mètres. J'achète deux belles baguettes de pain complet bio aux graines. Il y a un rayon de produits diététiques. Je choisis les boîtes de pâté végétal. Des filets de saumon fumé sous vide. Une grosse bouteille de jus de mangue. Des barres de céréales et des brugnons. Un beau melon. Je retourne à l'hôtel pour préparer les sandwichs. Emballés dans des feuilles d'aluminium. Le tout dans mon petit sac à dos, plein à craquer. Il y a encore la lampe frontale que je dois rendre à Odélie. Je redescends. Dans l'ascenseur, la jeune fille du jogging. Nous échangeons quelques mots. Elle est d'une élégance folle. Me raconte être venue passer la semaine dans sa famille. Nous nous saluons. Mon sac sur le dos, je prends la direction du port. Il va être midi.

 

      Odélie est là. Assise sur le muret. Elle bavarde avec un jeune homme. J'hésite. Elle tourne la tête, me voit, me fait signe de les rejoindre. Odélie fait les présentations : << Je te présente. C'est Maël. C'est lui qui nous emmène sur l'île ! >>. Nous nous serrons la main. C'est un gaillard athlétique, genre baroudeur. Il nous invite à le suivre. Nous descendons les marches pour prendre place dans le Zodiac. Maël tire le câble. Le gros moteur Yamaha se met à ronronner. Un bruit sourd et régulier. C'est parti. Odélie reste assise à ma droite. Presque contre moi. Je suis habité d'une douce sérénité. Il y a environ deux kilomètres de mer calme. Nous arrivons dans une crique. Un quai sur la droite. Maël est un garçon mutique. << Je viens vous récupérer pour 18 h30. Ça marche ? >> s'exclame t-il en coupant les gaz.

 

      Il ralentit pour se positionner près de l'escalier dont les marches sortent de l'eau pour monter sur le quai. Nous récupérons nos affaires. Odélie porte également son sac à dos. Nous saluons Maël qui prend le sens du retour. Là-bas, au loin, la ville, le port, mon hôtel et le bleu du ciel qui se reflète dans les eaux d'un calme absolu. Odélie m'entraîne par la main. Juste un instant avant de la lâcher. << On commence par la colline. Comme ça on a une vue d'ensemble ! >> lance t-elle en me précédent d'un pas énergique. Odélie porte un ses shorts larges qu'elle semble affectionner. Celui d'aujourd'hui est kaki comme mon bermuda. Un T-shirt beige. Des baskets. Je marche derrière elle le long du sentier qui monte en pente douce. Nous arrivons rapidement au sommet. À peine 60 m au-dessus de la mer.

 

      De là, nous avons une vue d'ensemble sur cette île qui doit mesurer trois cent mètres sur deux cent mètres. Derrière nous le large. En contrebas, les bâtiments en "L" de l'ancien hôpital abandonné. << J'aime l'urbex. Mais je ne fais jamais toute seule. Tu es prêt pour une nouvelle aventure ? >> me demande ma compagne d'exploration. J'ai envie de lui dire que j'irais sur la lune à vélo avec elle si elle me le demandait. Mais je me contente de préciser : << Oh oui ! Moi non plus je ne m'aventure pas seul dans l'inconnu ! >>. Nous déballons les victuailles. Odélie découvre le jus de mangue. Pas encore chaud. << Mmhh, c'est miam ! >> s'exclame t-elle en me tendant la bouteille. Nous commençons par le melon que je coupe en deux. Odélie retire les pépins en me racontant son après jogging. L'ambiance qui règne au parc à vans.

 

      Nous savourons ce repas simple. Les sandwichs sont parfaits. Odélie place son sac à dos derrière elle. Elle s'allonge, pose sa tête dessus. Je reste assis à admirer le paysage qui nous entoure. Nous restons silencieux. Le cri strident des mouettes, le bruit des branches qui remuent sous la légère brise du large. << Tu as quelqu'un dans ta vie ? >> me demande soudain la jeune fille. Je lui ai déjà raconté les principales étapes de mon existence lors de nos repas aux restaurants. Cette question pertinente exige une réponse qui le soit tout autant. Je réponds : << Non ! >>. Un silence. Je rajoute : << Depuis trois jours j'ai une amie d'aventures par exemple ! >>. Odélie se redresse pour demander : << Est-ce la partenaire idéale pour les découvertes insolites ? >>. Je reste un instant hésitant.

 

      Je cache tout ressenti. J'ai envie de crier, d'avouer à quel point je suis heureux ! C'est pénible de devoir jouer un personnage. Tout au fond de moi, je sais bien que je suis démasqué. Mais elle joue la comédie bien mieux que moi. Ce sentiment probablement commun, unit encore davantage cette complicité grandissante. En se recouchant sur le dos, Odélie rajoute : << Moi, je suis bien avec toi ! >>. Ces mots résonnent en moi comme les notes d'un orgue dans une cathédrale. Je dois cacher mes émotions. Garder la tête tournée vers l'horizon afin qu'Odélie ne puisse pas lire sur mon visage. L'endroit, la situation, autant d'enchantements qui me donnent le vertige. Comme pour couper court à cette séquence d'aveux, Odélie se redresse. << On s'arrache ? On va voir comment c'est là dedans ! >> lance t-elle.

 

      Une fois encore, ma complice saisit mon poignet quelques instants. M'entraînant dans la sente descendante. Les deux bâtiments sont en bon état. Malgré leur insularité, ils sont couverts de tags et de graffitis. Certainement que l'endroit sert de lieu de fête pour quelques initiés de la ville. Il est tellement simple de venir en bateau jusque là. Tous les carreaux sont intactes. Les deux battants de la grande porte voutée sont ouverts. La lumière entre à plein dans le couloir que nous suivons. Il y a de vieux lits en fer renversés. Des matelas éventrés. Sur la gauche les fenêtres qui donnent sur l'extérieur. Sur la droite des portes. Sans doute les chambres des patients. C'est avec de multiples précautions qu'Odélie ouvre la première porte. C'est une chambre à l'allure monastique. Juste une table en fer.

 

      Les volets sont tirés. Il règne dans chacune des chambres une obscurité inquiétante. C'est un chat qui détale à toute vitesse. Comment est-il arrivé sur cette île ? Nous arrivons dans la partie administrative. Des bureaux, des chaises, des armoires en métal aux portes défoncées qui dégorgent leurs classeurs, leurs feuilles et leurs documents. Odélie se penche pour ramasser un cahier. << 1 janvier 1953 ! >> lance t-elle. Je m'approche pour regarder. Odélie se serre contre moi pour tourner les pages. Ces instants se gravent en moi comme un tatouage dans l'âme. Je ne regarde plus les pages mais les doigts qui les tournent. Cette petite croix celte en argent sur son index. Nous quittons le premier bâtiment pour entrer dans le second. Certainement les salles de soins, d'opérations. L'endroit respire une ambiance morbide. Une odeur méphitique.

 

      Nous explorons les différentes salles. Certaines sont plongées dans une obscurité angoissante. Soudain, là, derrière nous, quelque chose tombe sur le carrelage défoncé du sol. Nous sursautons. Odélie allume la lampe frontale. Elle saisit ma main pour la tenir fermement. Je n'ai plus peur. Comme c'est bon ! Un second bruit. Cette fois comme un grincement. Nous nous retournons. Un objet tombe d'une des étagères d'une armoire en métal gris. << C'est quoi ? >> lance ma compagne d'aventures. C'est une petite boîte. Mais est-ce bien cette petite boîte qui vient de tomber ? Nous percevons très clairement un soupir. Il y a quelqu'un caché là. << Peut-être un squatteur ! >> suppose Odélie qui éclaire tous les recoins. Mais il n'y a personne. Strictement personne avec nous dans cette salle.

 

       Odélie garde sa main dans la mienne. La panique commence à nous gagner. Je sens battre le cœur d'Odélie dans sa poigne. Il en va certainement de même pour elle aussi. À peine sommes-nous sortis de la salle que la porte claque violemment derrière nous. Il n'y a pourtant aucun courant d'air. Nous nous regardons. << Tu entends ? >> chuchote Odélie en approchant son oreille de la porte. J'écoute. Nous retenons nos respirations. << Il y a quelqu'un ou quelque chose ici ! On se casse ! >> murmure ma comparse. Accélérant le pas, nous tenant par les mains, nous retournons dans le premier bâtiment. Presque en courant nous longeons le couloir jusqu'à la porte. Une fois à l'extérieur, en plein soleil, toute peur nous quitte. << Il y a des fantômes dans ces vieux hôpitaux. L'endroit évoque la souffrance ! Tu as perçu ? >> s'exclame Odélie.

 

      Nous nous asseyons sur un des vieux bancs en pierre entourant une cour carré. Une fontaine sans eau trône au milieu. Odélie est assise près de moi. Elle a lâché ma main. << C'est excitant après coup ! Tu ne trouves pas ? >> me demande t-elle. Je ne sais quoi répondre. Elle a sans doute raison. Je ne sais comment exprimer mes impressions. Les mots de ma complice sont les plus justes. Il n'est que seize heures. Nous avons encore deux heures trente à rester sur cette île. Nous grignotons un brugnon, une barre de céréales. << Viens, on fait le tour de l'îlot ! >> propose Odélie. J'aime quand par réflexe elle saisit ma main. Juste quelques instants. Nous quittons l'enceinte du vieil hôpital. C'est un sentier qui longe le littoral. Il faut parfois se pencher pour passer sous les branchages.

 

      Odélie se retourne soudain. Elle reste immobile. Hésitante avant de dire : << Robinson échangerait Vendredi Maigre contre Mardi gras ! >>. Elle s'amuse en découvrant mon expression. Je ne sais comment interpréter ces paroles. Est-ce une référence à l'œuvre de Daniel Defoe ? Est-ce une allusion autre, qui m'échappe ? << Que peut-on bien faire sur une île déserte pendant des dizaines d'années ? >> rajoute encore la jeune fille. En se tournant pour reprendre sa marche, elle conclue : << J'ai bien une idée ! >>. Cette fois, je crois comprendre. Je ne suis pas le genre d'homme à céder à ses pulsions. Je ne montre rien de mon trouble. Je sais qu'Odélie pratique une série de tests sur ma personne. Elle me l'a précisé à quelques reprises. Elle s'arrête une nouvelle fois, se retourne, prend mes mains.

 

      Mon sang ne fait qu'un tour. Mais quel tour ! Je n'en mène par large. J'avais moins peur dans le bâtiment hanté. Devinant mes pensées, Odélie chuchote << Je suis doublement bien avec toi. Tu es rassurant. Tu es de compagnie agréable ! >>. Je ne dis rien. Je sais que si j'ouvre la bouche ce sera pour libérer une bêtise. Odélie m'interroge du regard. Ce regard qui plonge tout au fond de moi. La moue que fait sa bouche. Ses lèvres si finement dessinées. Contrairement à moi, elle n'a pas peur. Comme pour me forcer à dire quelques chose, ma compagne d'aventure me demande : << Tu t'ennuies avec moi, hein, c'est ça ? >>. Je pose mes mains sur ses épaules. Je m'apprête à hurler ce qui me bouffe de l'intérieur. Odélie pose sa main sur ma bouche. Elle m'empêche ainsi de parler.

 

      Elle s'écrie : << Si c'est pour lâcher une énormité ou une connerie tu ne dis rien ! >>. C'est une femme. Elles savent toujours ce qui se passe en nous. Je me sens comme un gamin. Perdu. Il me faut sortir de cette prostration mentale. C'est moi qui prend l'initiative de prendre sa main. C'est moi qui dit : << Viens ! >>. Je ne sais pas où je l'emmène. Il y a là un puisard de pierres. Bâtit sur un socle de dalles. Je m'assois le premier. Je récupère la bouteille dans le sac à dos. Odélie s'installe en tailleur, devant moi. Elle me fixe. Son air amusé. Les mimiques de sa bouche. Son visage encadré de ses cheveux noirs qu'elle vient de défaire. Comme c'est difficile de devoir se contenir. De devoir jouer un rôle. De ne pas laisser ses élans se répandre. En est-il de même pour ma complice ? Impossible de le deviner.

 

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23/05/2024

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