L'ECRIT DE JOIE

L'ECRIT DE JOIE

Le concours hippique

                                             L'après-midi au centre hippique

 

        Le ciel reste voilé en ce premier dimanche matin d’octobre. Par contre la température est douce. Le thermomètre extérieur indique 20° alors qu’il n’est pas dix heures. Je suis assis à mon bureau. La réponse à quelques courriels en attentes. Mes publications sur différents forums attirent bon nombre de lectrices et de lecteurs. C’est en messageries privées que certains me contactent. La moindre des convenances exige de leurs répondre. C’est amusant de découvrir les questions ou encore les avis des uns et des autres. De publier sur un blog est également un exercice plutôt gratifiant. Le mien agit un peu à la manière d’un site de rencontres. Je suis le plus souvent contacté par des femmes. Désireuses d’en savoir davantage elles ont la curiosité de faire le lien entre la réalité et la fiction. Même si la plupart de mes récits relatent des faits bien réels, j’utilise les ficelles narratives du roman pour les partager. C’est bien plus plaisant à lire. Plus intéressant à écrire. Je suis plongé dans ces réflexions lorsque mon téléphone se met à vibrer.

 

         C’est le visage de Virginie qui apparaît à l’écran. << Bonjour. Tu viens me voir concourir cet après-midi ? >> lance t-elle. Je réponds : << Ah parce que tu dis bonjour maintenant ! Bien sûr que je viendrai. Je serai habillé tout de bleu. Pantalon, blouson, chemise et casquette Levis ! >>. Elle marque un silence. Je regarde les expressions sur son visage. La jeune fille ne peut cacher sa joie. Elle s’écrie : << Génial ! Je participe vers quinze heures et j’aurai le dossard numéro 11 ! >>. Je ne suis pas vraiment surpris. Le nombre 11 apparaît constamment dans tous les aspects de mon existence. Je rajoute : << Ce numéro te portera chance. Surtout si je suis dans les parages ! >>. Virginie mime un bisou qu’elle souffle vers moi de sa main. << À cet après-midi ! Au revoir ! >> conclue t-elle alors que son image s’évanouit. Je regarde l’écran à présent noir. Cette fille saura m’étonner à chacune de ses initiatives. Je retourne aux réponses de mes mails. Il y a là de quoi me divertir tout autant. Une certaine Alexia qui se montre soucieuse de mes ardeurs.

 

        Il va être onze heures trente. Je quitte le salon pour la cuisine. J’épluche, je lave et je coupe de grosses pommes de terre. Je les ébouillante avant de les déposer dans le grand plat carré. Je verse le liant, la préparation à l’œuf, à la crème fraîche et au lait de soja. Je recouvre d’une copieuse couche de fromage. Des tranches de Saint Nectaire que j’entrecroise avec des tranches de morbier. Je saupoudre de la chapelure. Des graines de sésame grillées. Quelques cerneaux de noix. Au four électrique préchauffé à 350°. Vingt minutes. Je n’ai que le temps de faire l’assaisonnement d’une belle laitue. La sonnerie du four. Déjà ! Je mange de bon appétit en organisant le timing de mon après-midi. J’ai tout mon temps. Pour le repas de ce soir je n’aurai qu’à réchauffer. La vaisselle. Un petit tour à la salle de bain. La météo idéale pour faire une petite balade. Je suis en bermuda et T-shirt. Je descends jusqu’à la rivière pour la longer en flânant. Des feuilles jaunes commencent à joncher le sol depuis quelques jours.

 

        Il est quatorze heures quand je me change. Tout de bleu vêtu et chaussé de Stan Smith je dévale les escaliers. Une dernière inspection devant le grand miroir de la penderie dans le hall d’entrée. Je me plais. Même si je me trouve légèrement ridicule d’aller faire le play-boy dans un concours hippique. Je respire un grand coup. Un petit saut, un pas de danse et je sors. La température est de 22°. Un peu chaud dans mon ensemble jeans. J’ai de la marge. Il n’y a qu’une dizaine de kilomètres jusqu’au centre hippique. Je roule tranquille avec ZZ Top en fond musical. "Gimme all your lovin". Peu de places sur le parking. Il y a un monde fou. Je m’acquitte des 5 euros d’entrée. Le numéro de ma place sur les gradins 111. Décidément, impossible d’échapper à cette fatalité. En numérologie, les nombres 11 et 22 ne s’additionnent pas. Jamais. C’est au troisième niveau qui compte six gradins de ce côté-ci. Je suis entre une jeune femme et un homme de mon âge. Un début de quarantaine. De jeunes cavalières exécutent des figures de styles sur la piste.

 

        Montées sur des chevaux magnifiques, elles accélèrent ou avancent au pas. Des accessoiristes mettent en place des barrières rouges et blanches. La musique lénifiante parfois interrompue par des annonces pour la plupart inaudibles. Je lis le programme. Il va être quinze heures, début des festivités. Elles commencent par un véritable ballet équestre. La valse de l’empereur. J’admire la virtuosité des plus jeunes annoncées “Galop 3“. Elle sont épatantes de virtuosité ces jeunes écuyères. Il faut vraiment bien maîtriser sa monture pour la faire évoluer sur des pas cadencés. Je me surprends à applaudir à tout rompre, comme mes voisins. Voilà les courses d’obstacles. Je tente d’identifier Virginie parmi les féminines. Je tire la minuscule paire de jumelles de ma pochette. Là, c’est elle. Elle reste concentrée en écoutant les annonces dans les hauts parleurs. C’est à son tour. Et part en troisième position. Je la sais excellente cavalière. Mais je ne découvre qu’aujourd’hui de quoi elle est capable. Une maîtrise époustouflante.

 

        Pas un seul raté. Virginie offre même en fin de parcours une figure équestre gracieuse et élégante. Depuis l’allée où elle attend sa prochaine démonstration elle scrute les gradins. Je me lève. Tant pis si j’occulte la vue des personnes assises sur le gradin derrière le mien. Mais cette manœuvre permet à Virginie de me situer. Surtout pas de signes. Ses parents sont forcément quelque part. Et il est hors de question de manifester une quelconque connivence. L’essentiel c’est qu’elle m’ait vu. Personne ne se doute de quoi que ce soit. Je regarde les concurrentes. Toutes aussi agiles et véloces. Le jury va avoir beaucoup de mal à départager les participantes. Le numéro 11 est appelé pour une nouvelle exhibition. Cette fois ce ne sont pas seulement les barrières qu’il faut franchir mais de grandes haies disposées par les accessoiristes. Nouvelle démonstration d’un véritable génie. J’admire la tenue de Virginie sur sa monture. Elle n’est pas seulement sculpturale et athlétique mais offre une prestation spectaculaire. Je ne suis pas objectif. Impossible de l’être.

 

        Une nouvelle fois la jeune cavalière se place dans l’allée avec les autres concurrentes. Je me lève. Elle me voit mais ne manifeste aucun signe ostentatoire pouvant dévoiler sa complicité. La dame derrière moi me fait une remarque désobligeante. Son mari également. Très certainement des parents assistant leurs progénitures. Je ne dois plus me faire remarquer ainsi. Après tout, Virginie sait maintenant où je suis placé. La troisième épreuve consiste à imposer une chorégraphie personnelle à son cheval. Quand le numéro 11 est appelé je suis devenu un inconditionnel. Un fervent supporter de mon amie. Je veux qu’elle gagne. Je joins mes applaudissements à ceux de la foule. J'ai horreur de ces rassemblements, de ces promiscuités, mais je ne suis là que pour Virginie. Elle termine sa démonstration en présentant les splendides courbettes qu’elle fait accomplir à son animal. Celui-ci semble obéir avec une facilité déconcertante. Le parfait complice. Tonnerre d’applaudissements. Cette fois Virginie quitte définitivement la piste.

 

        Étrangement, je cesse totalement d’être intéressé par la suite. Ce seront les garçons. Il va être seize heures trente. Je me lève pour descendre l’escalier. Ce serait drôlement sympathique de pouvoir échanger un rapide sourire avec Virginie. Je suis certain qu’elle est aux écuries. Je sors du grand bâtiment pour me diriger vers cette autre bâtisse. << Coucou ! >>. Je me retourne. Quelle surprise. Anne-Marie et Nathalie. Nous nous faisons la bise. << Tu m’as parlé hier de ce concours hippique, alors on est venues voir ! >> me fait Anne-Marie. C’est un vrai plaisir que d’être surpris ainsi. Nous sommes à l’extérieur. Il y a une buvette. Des tranches de cake avec des jus de fruits. Il faut toutefois présenter son ticket d’entrée. L’arrivée des deux jeunes femmes change évidemment mes plans. Nous restons à bavarder parmi plein de spectateurs. Anne-Marie et Nathalie ont beaucoup apprécié. Nous revenons sur notre soirée pizza et sur ce projet de randonner tous les trois. L’attitude de Nathalie a changé. Un comportement différent.

 

        Elle donnait quelquefois l’impression d’être sur sa défensive. Alors que cet après-midi c’est presque comme une connaissance de longue date. C’est fort plaisant. Ça met bien plus à l’aise. Peut-être les confidences d’Anne-Marie. Après tout, ce sont des amies intimes depuis si longtemps. Se cachent-elles des choses ? Je ne crois pas. J’en oublie totalement ma raison d’être là. Je ne pense même plus à Virginie. Je suis comme rassuré, la jeune cavalière sait que j’ai respecté ma promesse d’assister à son concours. C’est amusant car Nathalie fait même preuve de familiarités. Comme par exemple toucher mon bras pour appuyer une affirmation. Elle fait de même lorsque nous rions. Elles sont habillées à l’identique. Pantalons larges et clairs. Pulls de fin coton beige. D’élégants mocassins de daim. Qu’il est agréable de rester là à converser longuement. Je regarde machinalement vers le bâtiment des écuries. Il y a un groupe. Des parents accompagnés de leurs filles. Je ne reconnais pas immédiatement Virginie.

 

       À dix neuf ans, dans leurs tenues d’écuyères, elles se ressemblent toutes. C’est quand le groupe se rapproche que je la reconnais. De me voir en bonne compagnie doit certainement l’indisposer. Le regard lourd de reproche qu’elle m’adresse me tétanise. Anne-Marie et Nathalie ne s’aperçoivent de rien. Le groupe retourne dans le bâtiment du manège. Une petite voix, tout au fond de moi, me dit que je n’en mène pas large. Que ça va encore barder pour mon matricule. Nous sommes à notre seconde tranche de cake. À notre second verre de jus de pommes. J’essaie de me distraire de la conversation des deux femmes. Après tout je n’ai aucun compte à rendre à personne. Comme le précise souvent Anne-Marie : << Tu t’es mis dans une situation de merde ! >>. Anne-Marie qui me prend le bras. Nous faisons le tour des enclos. Du stade. Il y a des promeneurs partout. Cette manifestation est un indéniable succès. L’ambiance est magique. Il y a même deux jeunes femmes en robes longues et blanches tenant des ombrelles.

 

        Elles prennent des poses pour deux photographes. Soudain, Nathalie imite Anne-Marie en accrochant mon bras. Je suis entre mes deux connaissances. J’apprécie. Du côté Nathalie la glace semble définitivement rompue, si pas fondue. Il est dix sept heures quarante cinq. Une voix masculine et grave dans les hauts parleurs annonce les noms des vainqueurs de la section féminine. Quelle joie d’entendre Virginie être nominée deux fois. Je la devine folle de joie à l’idée de placer une nouvelle coupe dans la vitrine du salon familiale. Elle m’a montré des photos. C’est assez impressionnant. Anne-Marie ne connaît que son prénom sans pouvoir y mettre un visage. J’évite soigneusement de dévoiler qui est cette double gagnante. Nous continuons nos errances dans la vaste propriété du centre hippique. Je propose de venir partager les restes du gratin de pommes de terre. Anne-Marie et Nathalie se consultent du regard. Je suggère de faire des escalopes à la crème en accompagnement. À mon grand étonnement, c’est Nathalie qui accepte la première.

 

        Serais-je soudain en odeur de sainteté auprès de cette professeur de CM2 ? << Mais on ne reste pas trop longtemps. J’ai encore plein de trucs à faire. Demain il y a école ! >> lance Anne-Marie. << Moi c’est pareil ! >> rajoute Nathalie. Nous prenons la sage décision de nous en aller. Anne-Marie au volant de sa Clio, Nathalie comme passagère, elles me suivent. Il est dix neuf heures quand nous arrivons. Je prends la précaution d’éteindre mon téléphone. Je redoute les foudres qui pourraient en jaillir en présence de mes deux invitées. J’allume immédiatement le four. Anne-Marie propose de faire l’assaisonnement du reste de la laitue. Nathalie ouvre toutes les portes du buffet, du bahut en disant : << Je peux regarder où sont les assiettes. Je suis très curieuse ! >>. Je l’encourage à tout explorer alors qu’Anne-Marie rajoute : << Toi, seulement curieuse ? Mais tu es une véritable voyeuse ! >>. Je surprends Nathalie qui fait une grimace de reproche à sa collègue. Comme si cet aveu la gênait considérablement.

 

        Je profite évidemment de l’opportunité pour dire : << J’aime les voyeuses ! >>. Nous mangeons de bon appétit en revenant sur le projet de randonnée. Ce sera mercredi prochain, si la météo le permet. << À priori ça doit être bon, d’après les prévisions ! >> lance Anne-Marie. Je ferai donc découvrir à Nathalie un de mes circuits “trous“. Elle trouve ce concept tellement absurde. L’usage de ces trous tellement surréaliste et ridicule. Et pourtant un sixième sens me donne la certitude qu’une curiosité la dévore secrètement. J’en saurai davantage demain soir, lors de notre séance webcam avec Anne-Marie. Mes hôtesses ne s’attardent pas. Il est huit heures quand je les raccompagne jusqu’à la voiture. Anne-Marie me fait trois bises alors que Nathalie se contente de me serrer la main en me disant : << Merci ! >>. La nuit est tombée. Le portail se referme automatiquement après le passage de l’auto. Je rentre. J’ai une peur bleue à l’idée d’allumer mon téléphone. Je préfère prendre ma douche d’abord.

 

        C’est en peignoir que je redescends au salon. J’allume l’ordinateur. Je découvre deux mails incendiaires. Les messages de Virginie sont sans équivoques. Je suis traité de tous les noms d’oiseaux avec injonction d’allumer mon << Put-Hein de téléphone ! >>. Ce que je finis par faire en m’armant de tout mon courage. Trois SMS. Aussi vindicatifs que les courriels. Mais à peine l’ai-je allumé qu’il se met à vibrer. << Salaud ! Ordure ! >> C’est ainsi que commence la conversation. Je ne l’ai jamais vu aussi féroce. Je la laisse se calmer. << C’est qui ces deux pouffes qui te tiennent par le bras, espèce de salaud ? >> demande t-elle après s’être légèrement calmée. J’explique. De simples amies, et encore, plutôt des connaissances. << Ta mère aussi ! >> s’écrie t-elle à nouveau courroucée. Je m’évertue à lui expliquer pour finir par déclarer : << Mais je n’ai pas de compte à te rendre. Tu n’es que ma meilleure amie ! >>. Elle devient toute rouge sur l’écran de mon téléphone. Les veines de son cou prêtes à se rompre.

 

        Elle explose une nouvelle fois en lançant : << Une amie que tu baises je te signale ! Tu les baises toutes, tes meilleures amies, espèce de dégueulasse ! >>. Les avertissements que m’a donné Anne-Marie prennent soudain tous leurs sens. Dans quelle histoire me suis-je mis ! Histoire dont les nœuds se resserrent d’une inquiétante façon. << On se voit jeudi. Je viens avec la bagnole. Sur le parking, quatorze heures. Tu as intérêt à être là parce que sinon je fais le siège de ta maison et je campe dans ton jardin ! >> Conclue t-elle avant un << Bonsoir ! >> glacial. Je regarde longuement l’écran de mon téléphone. Mon ordinateur émet le signal webcam. J’ouvre. C’est le visage d’Anne-Marie qui apparaît à l’écran. C’est un immense sentiment de soulagement qui me gagne instantanément. << Alors, t’es cuit ou t’es foutu ? >> me demande t-elle. Comment peut-elle deviner ? Comment peut-elle savoir ? Je fais semblant de ne pas comprendre. Elle n’insiste pas. Mon amie revient sur notre rendez-vous de mercredi.

 

        << Ne prends pas ta bagnole. On passe te prendre et on fait la route ensemble. On te dépose chez toi pour dix neuf heures. Ça marche ? >> propose t-elle. Anne-Marie s’empresse de rajouter : << Mais on ne pourra pas manger ensemble en soirée. On a trop de trucs à faire ! >>. Je la remercie pour cette bonne idée. << On se voit demain soir en webcam, vingt et une heures. Là, je vais me coucher. Bisous ! >> conclue t-elle. Par mesure de précaution, j’éteins mon téléphone. Je veux passer une bonne nuit. Il va être vingt deux heures quand je retrouve la douceur de mes draps tous frais changés ce matin…

 

_________________________________________

Tous droits réservés - © - 2024 -

 

L'utilisation, toute ou partie, d'un texte, (ou photographie), par copié/colé par exemple, sans le consentement de l'auteur, constitue une violation de la propriété intellectuelle. Délit sanctionné par l'Article. L.335-2. du Code pénal.

La divulgation d'informations relatives à la vie privée, ou à l'identité, constitue un délit sanctionné par les articles 706-102-1 (Informatique) et 88-227 du code pénal.

 



19/12/2024

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 34 autres membres