L'ECRIT DE JOIE

L'ECRIT DE JOIE

Le pays Cathare

                                                          Chapitre 4             

 

 

                                              Retrouvailles à Carcassonne

 

       

        Il est un peu avant midi. J’arrive à la gare. La gare de Carcassonne que je connais un peu pour y être passé à quelques reprises dans mes jeunes années. Rien n’a vraiment changé. Je tire la grosse valise à roulettes. L’étonnante douceur de cette fin mars est un charme supplémentaire à l’accueil que me font mes souvenirs. Première étape, récupérer la voiture réservée à l’agence de location. Je traverse le hall d’arrivée. Ce qui est différent ce sont tous ces individus désœuvrés qui hantent les lieux. Je traverse la route, puis le square. J’entre dans les locaux Hertz. La jeune femme me reçoit avec le sourire. Il suffit de régler les dernières formalités et elle me tend les clefs. M’invitant à la suivre. Nous quittons son bureau pour sortir par la porte arrière. Je récupère ma Golf. D’un rouge carmin splendide. Cela va encore très certainement étonner Odélie lorsqu’elle arrivera. Nous nous retrouverons à l’hôtel "Beautiful Home". Quatorze heures trente. C’est à environs cinq kilomètres du centre. Je suis harassé par la faim. Je trouve facilement. Un magnifique lieu de villégiature.

 

        En fait ce sont trois ravissantes petites maisons typiques de cette région de l’Aude. Dans un domaine. Je gare l’auto sur le parking devant un ancien corps de ferme rénové. J’entre pour découvrir un hall d’accueil à la décoration campagnarde. La jeune fille me reçoit avec une gentillesse toute aussi exquise. J’ai réservé la maison numéro trois. De ce lundi 17 mars au mercredi 26 mars. Séverine se présente et m’invite à la suivre. Nous traversons un parterre de fleurs, avant de nous retrouver dans l’allée d’un jardin à l’Anglaise. L’endroit est sublime. Une piscine au carrelage du même bleu d’azur que les cieux sans nuages. Des chaises longues. Une table basse. Des chaises en rotin autour d’une table ronde. Un four à grillades ou à pizzas. L’endroit est idyllique. Conforme à la documentation envoyée. Au site Web. Séverine me fait visiter la maison. Le salon, la cuisine. À l’étage la chambre, la salle de bain. Les balcons donnent sur cette partie de la propriété. Je suis réellement enchanté. La jeune fille me souhaite un excellent séjour, me rappelant qu’au moindre souci, elle sera disponible.

 

        Elle est belle. Son sourire est magnifique. Je retire l’étui de ma guitare qui commence à meurtrir mon dos. Une fois seul, je défais ma valise. L’armoire est grande. Je place mes vêtements sur des cintres. Je n’occupe qu’un tiers du meuble. Je réserve les deux autres à Odélie. Je sais que les filles ne voyagent que rarement sans une grande quantité de vêtements. J’anticipe. Je suis mort de faim. Il est treize heures trente. Il me reste une heure. Le restaurant est de l’autre côté de l’étroite rue. Il y a du monde. L’atmosphère qui règne en cette fin mars est un enchantement. La serveuse m’apporte la carte. Je vais faire simple. Une escalope de dinde avec des nouilles à la crème. La fenêtre sur ma droite donne sur les contreforts pyrénéens. En face c’est un grand aquarium peuplé d’une faune et d’une flore aquatiques du plus bel effet. Récréatif. Je savoure ce repas en étudiant la brochure touristique. C’est ma quatrième visite en pays Cathare en vingt ans. Des réjouissances.

 

        Par la fenêtre j’ai également un regard sur la route. Là, le van blanc qui avance lentement. Je reconnais la fille qui le conduit. La fille au van se gare de l’autre côté de la route. Odélie sort de son véhicule. Elle le contourne en s’étirant. Elle porte une jupettes noires, un T-shirt blanc et des baskets. Ses longs cheveux presque noirs flottent en liberté sur ses épaules. Presque six mois se sont écoulés depuis son séjour chez moi. Je reste un instant encore à l’observer. Elle entre dans son van. J’hésite. Vais-je à sa rencontre dans la rue ? Je préfère la retrouver dans le hall. J’ai prévenu Séverine que j’attendais quelqu’un. Odélie saute de son véhicule avec un sac de sport qu’elle tient à la main. Une grosse valise à roulettes qu’elle soulève avec peine pour la poser au sol. Je la laisse entrer dans la maison. Je paie l’addition en réservant la même table pour ce soir. La serveuse m’apprend qu’il y aura demain une animation musicale assurée par un quatuor classique.

 

        Je traverse la rue. En passant tout près du van, je le touche de la main sur toute sa longueur. Le siège passager doit être une sorte de support de travail. Il y a du fourbi. J’entre dans le hall. Je suis en bermuda kaki, en chemisette beige, baskets. Elle est là. Debout devant la vitrine où sont exposées des coupes, des médailles et des figurines de cavaliers sur leurs chevaux. Je contourne le pilier central. Séverine m’observe, amusée. Odélie m’a t-elle vu dans le reflet de la vitre ? Elle se retourne. Je me montre. Son sourire me fait fondre. Nous restons un long moment immobiles, à nous sourire. C’est étrange comme les jeunes filles peuvent changer en six mois. Elle reste la même. Et pourtant quelque chose d’encore imperceptible diffère. Je me fais fort d’en découvrir la cause. Je dispose de dix jours. J’avance le premier. Odélie fait de même. Proches et la fois distants, nous continuons à nous scruter. Ce n’est pas simple de reprendre les choses où nous les avons laissé. Certes, nous sommes restés en contact. Même si ces derniers avaient tendance à s’espacer au fil des mois.

 

        Dans un même élan nos mains se touchent. Nous restons ainsi à nous les tenir. Faudra t-il tout reprendre au commencement ? Recréer l’approche initiale ? Odélie se pose t-elle les mêmes interrogations ? Je n’arrive plus à lire en elle. Nous lâchons nos mains. La fille au van me montre ses bagages devant le comptoir. Nous nous y dirigeons ensemble. << J’ai encore un sac dans le "camion" ! >> dit elle alors que je saisis la valise. Je l’invite à me suivre. Le parterre florale, le jardin à l’Anglaise. Notre piscine devant notre maison. Odélie reste debout, silencieuse. << Mais c’est génial ! >> finit elle par lancer. Je dis : << Viens, tu n’as pas encore tout vu ! >>. Quand elle découvre le salon, la cuisine, c’est une succession d’expressions d’enchantements. Nous montons à l’étage. L’armoire est ouverte. Je dépose la valise sur le grand lit dont j’ai tiré la couette. Je m’installe dans le fauteuil. Silencieux. Odélie fait le tour de la pièce. Touche les fleurs dans leur vase. Caresse les tentures qui encadrent les fenêtres. << Viens ! >> dit elle enfin. Je me lève pour la rejoindre.

 

        Nous sommes sur l’un des deux balcons. Là-bas, sur la gauche, les remparts de Carcassonne. En face, barrant l’horizon, les Pyrénées. À droite les collines des Corbières toutes proches. La lumière diaphane de cette fin mars enlumine ces paysages extraordinaires. Soudain, sans me laisser réaliser ce qui se passe, Odélie passe ses bras autour de mon cou. Je pose mes mains sur ses hanches. Nous restons une fois encore un long moment à nous scruter. Nous cherchons l’autre. Celui du mois de septembre de l’année dernière. Avec ce sentiment de ne pas savoir comment sauter dans ce nouveau train. Une confusion bien naturelle. Bien normale. Qui n’est pas sans imposer un certain malaise. Aucun de nous deux n’ose faire le premier pas. Nous devons nous retrouver. Nous avons tout notre temps. Sans le dire, c’est un sentiment partagé. Odélie prend ma main pour m’entraîner dans la chambre. << Tu m’aides ? >> demande t-elle en ouvrant la grosse valise. Elle se place devant les étagères de l’armoire. Je lui passe les vêtements.

 

        Je le fais consciencieusement. Tout aussi consciencieusement qu’elle les dispose sur les étagères. La valise vide rejoint la mienne entre l’armoire et le guéridon. Les affaires de toilettes à la salle de bain. Elle est vaste. Une douche pour six personnes. Une baignoire circulaire. Un grand lavabo. De larges miroirs. Tous les carrelages sont grèges clairs. On se sent bien dans cette maison lumineuse. << Tu fais si bien les choses ! >> me lance soudain Odélie en se serrant pour la première fois contre moi. Nous nous observons dans un des miroirs. << Tu crois que ça va redevenir comme avant ? >> me demande t-elle. Je ne dis rien. Un long silence. Je propose de partir sur Carcassonne. Il est déjà quinze heures trente. Il n’y a pas encore l’horaire d’été. Le crépuscule arrive pour dix neuf heures. La nuit une trentaine de minutes plus tard. Autant en profiter. Nous dévalons l’escalier en nous tenant par la main. Nous contournons la piscine. Le jardin Anglais, le parterre floral, le hall d’entrée. Personne. L’accueil est fermé. Une pancarte.

 

        Lorsqu’elle découvre ma voiture rouge carmin Odélie s’écrie : << C’est ta voiture du Pays Cathare ! >>. J’explique que cette fois c’est une location. Je dis : << Tu veux conduire ? >>. Elle s’écrie : << Ah non, j’ai déjà trois cent cinquante bornes au compteur aujourd’hui ! >>. C’est parti. Il n’y a que cinq kilomètres jusqu’au parking devant les remparts. En contrebas c’est le monastère qui fait office d’hôtel pour les routards. Un premier réflexe semble de retour. Sans même nous consulter nous nous prenons les mains pour traverser la route puis le pont-levis. Il y a peu de tourisme en cette période. Ce qui permet de flâner dans la plus totale sérénité. Main dans la main. Parfois, nous nous regardons pour nous sourire. Aucun élan. Il faut refaire connaissance. Cette idée n’est pas pour me déplaire. Une idée sans doute partagée. Le Château Comtal. Une construction du douzième siècle, parfaitement conservée et préservée. L’entrée y est gratuite jusqu’au premier avril. Là, à droite, le buste de Dame Carcas. À gauche, la Tour Narbonnaise. Quelques visiteurs.

 

        Les pierres ocres des hauts murs qui nous entourent. La douceur du soleil quand nous quittons la fraîcheur des endroits ombragés. Sans jamais nous lâcher la main. Il y a des boutiques déjà ouvertes. Leurs vitrines présentent bijoux, tentures, vêtements, souvenirs. Nous montons la rue Cros-Mayrevieille pour arriver sur la Place du Château. Il y a là le dédale des escaliers. Il y en a beaucoup dans le Comtal. Un véritable labyrinthe. Les remparts sont accessibles. On peut faire le tour de la cité depuis ses barbacanes, ses chemins pavés et crénelés. Les paysages sont époustouflants. Je ne m’approche pas trop à cause du vertige dont je suis rapidement le jouet. Ce qui amuse Odélie. Durant cette promenade, il y a des séquences où nous sommes comme des étrangers l’un en présence de l’autre. Pas simples les rapports humains. Nous sommes au-dessus du théâtre Jean Deschamps. J’ai assisté là, jadis, à des concerts extraordinaires. Le chanteur Sting, le groupe Nirvana. Entre autres.

 

        Nous redescendons l’escalier impérial pour arriver derrière la basilique Saint Nazaire. Du gothique tardif en pierres de taille. C’est un grès ocre issu des carrières proches. Une pierre friable qui nécessite de cycliques rénovations. L’édifice est ouvert au public. La fraîcheur arrive avec la fin de l’après-midi. Nous ne nous attardons pas. Vêtus comme nous le sommes, ça devient un peu limite. Il est dix huit heures trente. Le soleil s’apprête à disparaître derrière les sommets noires des montagnes lointaines. Là-bas vers Mazamet. Nous traversons la Place Auguste Pierre. L’ancienne boulangerie de l’Hôtel de la cité. Un édifice prestigieux. Je propose de la dévaliser des quelques derniers croissants minuscules exposés derrière la vitrine, dans leur panier. << Oh oui ! Bonne idée ! >> lance Odélie dans le premier véritable élan affectueux de nos retrouvailles. Mais c’est comme si elle venait de se brûler. Reprenant une distance. En rentrant dans la boutique, nous rions aux éclats. Sans vraiment savoir pourquoi.

 

         Avec nos croissants que nous grignotons, nous remontons la rue Plo. Puis la Place du Petit Puits. La ruelle qui descend jusqu’à la Place Marcou. Ses cafés, ses salons de thé et ses restaurants. Avec la fraîcheur revenue, toutes les terrasses sont désertes. Les tables et les chaises vides d’une tristesse infinie. La tour des Lices et son large escalier qui permet de remonter sur cette portion des remparts. Nous sortons des fortifications par la Porte d’Aude. Il faut contourner les murailles. Nous croisons quelques cavalières. Le crépuscule s’annonce quand nous revenons à la voiture. << Je conduis ! >> lance Odélie. Tout surpris par cette initiative, je lui tends les clefs. Je m’installe sur le siège passager. Odélie démarre. << J’aime bien les bagnoles électriques ! >> rajoute t-elle en démarrant. La circulation est fluide. Odélie nous conduit à travers la ville. Sans hésitations. << Ta main ! >> s’exclame t-elle à un feu rouge. Je demande : << Quoi, ma main ? >>. Elle montre sa cuisse en disant : << Là ! Toujours posée là ! >>. Je pose ma main.

 

           Je retrouve le contact de sa peau. Le touché du velours. Je reste sans bouger. Nous restons silencieux jusqu’à l’hôtel. Il y a des bornes de rechargement. L’autonomie de la Golf est de 400 km. Les batteries sont à leur maximum. Pas d’inquiétude. Nous traversons le hall dont l’accueil est à nouveau ouvert. Le sourire de Séverine. C’est presque en courant que nous remontons à l’étage de notre maison. Pour nous y vêtir de nos jeans, de nos sweats. Odélie me saute au cou. Pour la première fois depuis six mois, nos lèvres s’effleurent. Morts de faim, nous dévalons l’escalier. Notre table nous attend. Ce sont des tomates farcies, accompagnées de légumes confis qui font le régal de notre repas. La salle est à moitié pleine. Nous mangeons de bon appétit en bavardant. Odélie m’explique le programme qui l’attend. Elle est attendu le deux avril près de Valence. Son ‘’garde du corps’’ est impatient de la revoir. Je devine l’embarras qui habite la jeune fille.

 

         C’est une fille entière. << Deux histoires en même temps, ce n’est tout simplement pas possible ! Ce n’est pas mon truc ! >> me confie t-elle. Je le sais depuis Locronan. Nous en avons parlé longuement l’année dernière. Je ne suis pas un aventurier parcourant les routes à van. Ce n’est pas mon truc. J’aime beaucoup les voyages. Mais dans le confort. Ce qui est aux antipodes des préférences d’Odélie. Je l’écoute me raconter d’amusantes anecdotes de son hiver. Ses extras en restauration qui permettent d’amasser les économies nécessaires pour de nouvelles aventures. Les petits chefs qui se la jouent, les collègues, la clientèle. Nous traînons longuement à table. Je passe un deal avec la jeune serveuse. Ce sera cette table tous les soirs qui nous sera réservée. La fatigue se fait sentir. Nous bâillons de concert à nous en décrocher la mâchoire. Il va être vingt et une heures. Nous rentrons. Les lumignons qui éclairent les bords de la piscine confèrent à l’endroit un air "hollywoodien". La salle de bain. Je laisse Odélie l’investir seule.

 

        Nos T-shirts de nuits sont pliés sur le canapé devant le lit. Je saisis le sien pour le lui remettre par la porte entrebâillée. Quelques minutes et Odélie fait son apparition dans la lumière tamisée. Elle se glisse sous les draps, la couette. C’est à mon tour d’investir la salle de bain. Une douche m’emplit des plus suaves sensations. Je prends tout mon temps. Je revêts mon T-shirt de nuit. Je quitte la salle de bain. Odélie, couchée sur le côté, semble dormir à poings fermés. Je relève délicatement le draps pour recouvrir son épaule. Je contourne le lit pour me glisser à mon tour sous les draps. Lentement. Sans faire le moindre bruit, en retenant ma respiration. Je me tourne sur le côté en restant tout au bord du lit. Couché sur le côté, je regarde ma dormeuse dans la pénombre. La fille des vidéos Youtube à nouveau près de moi. Je lutte contre le sommeil qui me gagne. Je ne veux pas m’endormir. C’est trop bien. C’est trop beau. C’est trop bon…

 

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19/11/2024

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