L'ECRIT DE JOIE

L'ECRIT DE JOIE

Barge-les-Écluses

                                                              Chapitre 3

                                                      

 

                                                               Le retour

 

        Il est neuf heures ce mardi matin. Je viens de prendre ma douche. Toutes les choses que j’entreprends depuis dimanche me semblent hâtives. Précipitées. Je suis un peu fébrile. L’idée de revoir Odélie cet après-midi tourne sans cesse dans mon esprit. Cela m’amuse toutefois d’être ainsi agréablement perturbé. Assis devant tant mon ordinateur, je vaque à quelques tâches administratives. Je renâcle toujours un peu de devoir m’acquitter de ces obligations avant de pouvoir me consacrer à ma peinture. J’ai deux commandes en cours. Odélie viendra passer dix jours ici, avec moi. J’aimerais tout boucler avant son arrivée. Pouvoir me consacrer entièrement à sa présence reste ma priorité absolue.

 

        Il est dix heures trente. Me voilà enfin dans mon atelier. Il me faut vernir deux toiles. Je procède avec soin en diluant une part d’ambre dissous pour quatre parts d’essence d’aspic. L’ambre dissous à cette particularité d’être imputrescible et de traverser les siècles sans s’altérer. Mais elle nécessite d’être appliquée par petits mouvements circulaires. De préférence avec un fin pinceau brosse rond. Il faut insister. Je procède consciencieusement en ayant soin d’éteindre mon téléphone. Hors de question de devoir cesser intempestivement avant l’achèvement des deux surfaces. C’est un plaisir qui exige toutefois toute mon attention, trouvant ainsi un répit à l’obsédante pensée. Je termine mon travail un peu avant midi. L’atelier est parfaitement rangé. La pluie se met à tomber.

 

        En prévision du repas de ce soir, je lave et je coupe une belle aubergine, une grosse courgette. Je les dispose dans un plat carré en terre cuite. Je verse le mélange œuf, crème fraîche et lait de soja. Je recouvre d’une bonne couche de gruyère de Comté. De la chapelure. Des graines de sésame grillées. Avec des cerneaux de noix, que je dispose avec soin, j’écrie "Bienvenue Odélie". Au four pour laisser mijoter longuement à 150°. Je lave les feuilles d’une grasse laitue aux nervures onctueuses. L’esprit tranquille, en ce qui concerne le repas du soir, je prépare celui de midi. Du riz complet que je fais gonfler. Deux nems aux crevettes. Une salade de carottes. Je mange en écoutant Sud Radio. La gouaille d’André Bercoff m’enchante dans son émission quotidienne.

 

        Il est enfin treize heures. La salle de bain où je prépare un peignoir bleu. Une grande serviette de bain et un gant de toilettes du même bleu. Tout est ordonné, rangé. Mademoiselle Lise est venue hier, spécialement sur ma demande, afin de faire le ménage et de tout nettoyer. Elle qui ne vient que les samedis matins était agréablement surprise. Je suis donc doublement rassuré. Il est grand temps de me changer. Un Levis 501, comme je les aime. Une chemise à fleurs comme je les affectionne. Un blouson Levis également. Je suis fidèle à cette marque depuis l’adolescence. Des Stan Smith. Je prends la pose devant le grand miroir de l’armoire. Ça ira. Je dévale les escaliers. Il faut le parapluie. Je prends le grand. La température ne dépasse pas les 19°. Pas d’été Indien en ce mois de septembre.

 

        Je roule doucement sur les vingt cinq kilomètres qui me séparent de la gare. Sous une pluie incessante. La danse des essuies glaces sur le pare-brise. Le train arrive en gare à quatorze heures quarante cinq. J’ai de la marge. J’aime anticiper tout impondérable. D'être en avance pour un rendez-vous me permet de me mettre dans les conditions mentales idéales. Il n’est que quatorze heures quand je gare la voiture dans une ruelle derrière le grand bâtiment SNCF. Je flâne un peu dans la galerie commerciale. Je me surprends à guetter les horloges toutes les cinq minutes. Mon cœur bat une étrange chamade dans ma poitrine. Impossible de me concentrer sur les magazines que je feuillette nonchalamment. Mécaniquement. Rien ne parvient à véritablement capter mon attention. Impossible de tempérer l'impétueuse ébullition du volcan qui bout en moi. Je suis bizarrement étranger à tout ce qui se passe dans mon environnement.

 

        J’écoute avec interêt les annonces dans les hauts parleurs. Enfin, le train venant depuis la Bretagne est annoncé. Pas de retard. J’ai cinq minutes pour me rendre sur le quai No 4. Il y a les voyageurs, leurs bagages, mais également des solitaires. Des femmes, des hommes qui attendent, peut-être comme moi, l’arrivée d’un être cher. Le TGV ralenti. Il s’immobilise dans un crissement métallique. Mon cœur accélère. Je le sens battre jusque dans mes tempes. Ma gorge se noue. Là, s’apprêtant à descendre le marche pieds, Odélie. Elle m’a également repéré. Son sourire merveilleux irradie son visage radieux, épanoui. Elle descend les marche en portant une lourde valise à roulettes. Un petit sa sur le dos. Je me précipite pour lui venir en aide. Pour l’accueillir dans une joie folle. Une émotion qu'il me serait bien impossible de réfréner.

 

        Trois bises avant de la prendre par ses épaules. Je pose la question imbécile de rigueur. << Oui, j’ai fait bon voyage. Mais je suis contente d’arriver ! >> me répond t-elle. Je tire la valise qui est effectivement bien lourde. Odélie saisit ma main libre. Toujours ce dynamisme qui l’anime, qui la rend si unique. << Oh, tu as retrouvé ta voiture du Sud ! >> s’exclame t-elle lorsque nous arrivons à l’auto. Je dis, << Tu es priée de conduire ! >>. En mettant son bagage dans le coffre je l’entends rire avant de répondre : << Ah non, tu as oublié. J’adore me faire promener ! >>. Elle prend place sur le siège passager. Odélie découvre cette ville qu’elle ne connait pas. Je roule doucement afin qu’elle puisse en profiter. Prenant la direction du périphérique.

 

        Alors que nous parcourons les routes de campagne, Odélie me raconte ses aventures. Cela fait presque deux mois que nous nous sommes quittés à Locronan. J’écoute avec beaucoup d’intérêt. Sa vie est si riche d’évènements. J’assiste toujours à cet étrange étonnement qu’on mes visiteurs qui arrivent pour la première fois devant le portail de la maison. << Mais tu habites dans un manoir ! >> lance Odélie. Elle a déjà vu des photos. Mais la réalité est toujours bien plus surprenante. Cette tourelle n’est que l’escalier en colimaçon qui monte de la cave au grenier. Ce qui confère à la demeure cet aspect si particulier. Les hautes cheminées de briques rouges participent de cette illusion. Odélie manipule la télécommande. Les battants du portail s’ouvrent. Ma passagère reste silencieuse lors de la descente jusque devant le garage. La maison d’amis. La dépendance aux colombages. Elle ne dit pas un mot.

 

        Il pleut. Odélie nous abrite sous le Grand parapluie alors que je sors sa valise du coffre. Nous traversons le jardin en restant sur les dalles de grès. L’étonnement de mon invitée grandit encore une fois dans le hall d’entrée. << C ‘est génial ! >> s’exclame t-elle en se débarrassant de son blouson de cuir noir. Je tire la valise en l’invitant à me suivre. Ce sont les instants solennels de la visite. La maison date du dix neuvième siècle. Construite sur l’emplacement d’une ancienne commanderie templière. Les plafonds sont hauts. Les poutres apparentes. Odélie répète à plusieurs reprises : << C’est génial chez toi ! >>. Nous entrons dans la vaste cuisine. Odelie en fait le tour en ouvrant de grands yeux. Ce qui semble l’impressionner est la grande cuisinière rouge aux ferrures de cuivre. La hotte de bois de chêne. Je la laisse prendre tout son temps. Elle passe ses bras autour de mon cou en disant : << Mon châtelain ! Continuons la visite ! >>

 

        Je l’emmène au salon. La grande pièce a de quoi susciter l’étonnement. Le mobilier ancien d'époque victorienne, les deux imposantes bibliothèques, le bureau, la table monastère. Et surtout la grande cheminée. Là aussi, je la laisse à ses découvertes. Et toujours ces mêmes mots : << C’est génial ! >>. Je l’invite à me suivre dans l’atelier. Cette grande pièce où je passe chaque jour plusieurs heures à peindre. Les tommettes de terre cuite au sol, mes chevalets. La grande cheminée. Odélie reste un long moment devant mes toiles. << C’est toi qui fait ça ? >> lance t-elle comme hébétée. De voir mes toiles en photos n’a rien de comparable avec leurs réalités. Je me place derrière elle. Je pose mes mains sur ses épaules. Mon visage tout près du sien. Je murmure : << Quel magnifique modèle tu ferais ! >>. Odélie se tourne doucement. Son sourire est désarmant.

 

        Elle me serre dans ses bras. << Je crois que je vais beaucoup me plaire ici ! >> dit elle avant de poser ses lèvres sur les miennes. Une décharge électrique parcourt ma colonne vertébrale. Avec la pluie, ce ciel désespérément bas, il fait de plus en plus sombre. Odélie enfonce sa langue dans ma bouche. Nous nous embrassons avec tant de passion que le bas de nos visages ne tardent pas à êtres mouillés de nos salives. Nos bas ventres l’un contre l’autre. C’est merveilleux de retrouver nos réflexes. Il est dix sept heures. J’invite ma visiteuse à me suivre à l’étage. Elle découvre la vaste salle de bain, la grande chambre à coucher, la salle d’entraînement. << Put-Hein mais tu as tout l’équipement professionnel ! >> s’écrie t-elle en s’accrochant des deux mains à la barre fixe. Je la regarde faire des flexions de bras avec une facilité déconcertante.

 

        Il commence à faire faim. Odélie, posant sa valise sur la chaise, propose de ranger ses vêtements. J’ouvre la porte droite de l’armoire. Des étagères libres. Des cintres. Assis sur le lit, je la regarde ranger ses vêtements. Je l’écoute raconter quelques amusantes anecdotes de son dernier séjour en Espagne. Tout est en ordre. Odélie plonge sur le lit, me renverse pour me chevaucher. Mitraillant mon visage due bisous, elle demande : << Je t’ai manqué ? >>. Cette question pourrait me faire couler les larmes. Je tente de cacher mon soudain émoi. J’avoue que c’était parfois difficile. << Tu es un sentimental toi ! >> dit -elle en devinant ce que dissimule mon air faussement stoïque. Je l’écoute me confier ses ressentis quant à notre relation. << Parfois je te parlais dans mon camion. Comme si tu étais là. J’avais envie de te téléphoner ! >>. Je lui avoue les mêmes attitudes. Les mêmes comportements. Elle s’empresse de préciser : << Mais il y avait souvent mon "garde du corps" ! Alors c’était impossible ! >>

 

        Nous nous embrassons avec fougue. Nos caresses d’une tendresse inouïe sont comme autant de transgressions qui nous font gémir. Odélie aimerait prendre une douche avant de redescendre. << Interdiction de t’éloigner de plus de cinq mètres. Sous peine de sanctions ! >> lance t-elle en m’entrainant par la main. Dans la salle de bain, je suis assis sur le tabouret. Odelie prend sa douche en chantant. En me racontant d’autres histoires. Elle est toute heureuse de revêtir le peignoir bleu. J’admire ce corps sculptural. Heureuse de créer cet effet sur ma psyché elle tourne sur elle-même plusieurs fois comme le ferait une ballerine. Morts de faim, nous dévalons les escaliers. La tourelle résonne. Ce qui amuse mon amie qui pousse des cris dans les escaliers. Il faut allumer les plafonniers. Il fait tellement sombre alors qu’il n’est que dix neuf heures. Je réchauffe les pizzas. Odélie met les assiettes, les couverts en me confiant sa joie d’être là. Je fais l’assaisonnement de la laitue.

 

        Odélie m’entraîne dans la véranda. Séparée de la cuisine par une baie vitrée fumée et coulissante. Le mobilier en rotin. Elle essaie toutes les chaises, les fauteuils, le canapé. << Ça doit être super en été ! >> dit elle. J’avoue que je ne suis jamais là en été. La sonnerie du four. Nous nous précipitons à la cuisine. La délicieuse odeur des pizzas nous met à la torture. Nous mangeons de bon appétit en revenant sur nos souvenirs communs. Notre rencontre, qui nous paraît déjà si loin. Au mois de mai. << J’ai relu toutes nos aventures sur ton Blog ! Chaque récit est comme une lettre d’amour ! >> lance Odélie en posant sa main sur la mienne. Je suis soudain terriblement gêné. Aussi, pour chasser mon embarras, je dis : << Ce ne sont que des personnages qui vivent une fiction tu sais ! >>. Odélie me fixe avec un soudain sérieux avant de répondre : << Mais de la fiction à la réalité il n'y a souvent que l'épaisseur de la page d'un livre ! >>

 

        Nous en rions aux éclats. Qu’il est bon de traîner à table. Assise sur mes genoux, ses bras autour de mon cou, Odélie me confie à quel point elle a besoin de se poser et de se reposer. Les dix jours qu’elle s’apprête à passer ici seront comme une cure de villégiature bien nécessaire. Bien méritée aussi. À partir du premier octobre elle reprend ses extras dans un restaurant. Jusqu’au mois de mars. C’est une épreuve pour cette fille qui adore la liberté. En plaisantant, je réitère ma proposition d’être ma secrétaire durant l’hiver. << Ah oui, trois lettres par semaine ! Ce serait mon boulot de "secrétaire", c'est ça ? >> lance t-elle en riant. Les bâillements sont communicatifs. Aussi, nous bâillons tous deux à nous en décrocher la mâchoire. La vaisselle. Avec cette pluie, pas de découverte de la propriété. Pas de promenade digestive. Il fait déjà nuit alors qu'il n'est que vingt heures trente.

 

        Nous remontons. Nous nous brossons les dents en faisant les clowns devant le miroir de la salle de bain. Tête contre tête au-dessus du lavabo pour nous rincer la bouche. Retrouvant nos habitudes de Locronan. J’ai préparé les T-shirts de nuit sur la chaise. La chambre à coucher n’est pas chauffée. Il y fait seulement 16°. Nous nous glissons rapidement sous les draps de lin tous frais que j’ai changé ce matin. C’est dans une tendresse irréelle que nous nous étreignons. Dans de profonds soupirs de soulagements. Enfin. Nos corps prennent le dessus. Nos esprits n'en sont plus que les témoins passifs. Tout autour de nous cesse d’exister. Dans le tourbillon de nos sens nous nous laissons emporter par nos émotions. Qu’il est merveilleux de se retrouver après tant de jours, tant d’épreuves, tant d’attentes. J’offre à ma complice la plus indicible des caresses. Sa préférée qu’elle apprécie en se laissant aller dans les méandres des plus fou vertiges. Nous nous perdons. Nous nous noyons. Je fais durer.

       

        Rien ne peut m’enchanter davantage que le concerto pour une voix qui berce mes oreilles. Même si la position devient inconfortable, que ma nuque devient douloureuse, je m’efforce à esquiver ses tentatives de me repousser. Elle murmure : << Tu vas me rendre folle ! >>. Son corps qui se cambre soudain, animé de spasmes. Le frisson de l'intérieur de ses cuisses contre mes joues. Je veux absolument repartir pour un second tour de manège quand elle s’écrie : << Viens ! >>. Je reste en appui sur mes bras pour ne pas peser due tout mon poids. Odélie saisit mon érection. C’est moi qui me laisse faire. Elle me guide. Je suis en elle. Nous nous aimons dans un enchantement paradisiaque. Le plaisir ultime, divin, nous envahit. Nos doigts croisés se serrent avec force. Odélie murmure d’incompréhensibles mots. Mais sont-ce vraiment des mots ? Nous en rions. Tout contre moi, elle plonge la première. Je tenter désespérément de rester éveillé encore un peu. Je veux m’étourdir de sa présence…

 

 

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19/10/2024

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