L'ECRIT DE JOIE

L'ECRIT DE JOIE

Le vieux moulin

                                                         Le vieux moulin

 

        Je suis la bouillotte. Avec les fraîcheurs nocturnes et précoces de ce début d’automne, ma puissance calorique fait une bienheureuse. Ce n’est certainement qu’une impression diffuse au réveil mais c’est comme si Odélie était restée accrochée à moi toute la nuit. Comme une naufragée à sa branche. Ce matin je suis doublement privilégié car je suis réveillé en premier. Ma dormeuse couchée sur le dos, la bouche entrouverte, la respiration à peine perceptible, me présente son profil. Un profil qui se détache sur le ciel laiteux derrière la porte fenêtre. Est-ce son sixième sens ? Il va être huit heures trente. Je reste immobile, régulant ma respiration pour pouvoir profiter de ce spectacle. Se sait-elle observée ? Elle ouvre les yeux, cligne des paupières, tourne la tête. << Tu es déjà réveillé ? >> demande t-elle dans un souffle en venant se blottir. J’aime passer délicatement le bout de mon nez sur le sien. En chuchotant : << Esquimau ! >>

 

        << Mmhhh, j’ai bien dormi ! >> dit elle encore. Sa tête dans mon cou, sa main sous mon T-shirt. Une main caressante qui descend. << Je contrôle ! >> murmure ma complice. En imitant le bruit d’un moteur, elle change les vitesses. Je ris de cette première facétie. << J’ai une conduite déplorable ce matin, non ? >> lance t-elle encore en lâchant le levier. Nous rions. Impossible de rester sous la chaleur des draps. Il faut affronter les six mètres qui séparent le lit de la porte. << Oui, le tout est de s’y mettre ! >> fait ma facétieuse amie. Nous courons pour nous séparer dans le couloir. Odélie aux toilettes, moi à la salle de bain. Chacun son tour avant de nous revêtir de nos tenues de gym. Morts de faim. Dévalant les escaliers en exerçant nos cordes vocales. Ma responsable café le prépare en racontant ses rêves. Comme un petit garçon, j’écoute ma belle histoire en beurrant les tranches de pain grillé. Cette fois nappées de miel onctueux.

 

        Notre copieux petit déjeuner est l’occasion de faire le bilan de la journée précédente. Nos journées sont denses et comme tous les gens heureux nous trouvons qu’elles passent bien trop vite. << Tu te rends compte, c’est le neuvième jour ensemble ! >> s’exclame ma compagne de plaisirs divers. Elle rajoute : << Demain je suis déjà obligée de partir. J’ai mon train à quatorze heures ! Changement à Paris à seize heures. Arrivée à vingt heures. On vient me chercher à la gare ! >>. Je recommande qu’aucun de nous deux n’aborde ce départ aujourd'hui. Odélie vient s’installer sur mes genoux. << C’est notre troisième séparation. C’est de plus en plus dur ! >>. Je réponds : << Mais réjouissons-nous d’un hypothétique quatrième chapitre ensemble ! >>. Elle s’écrie : << Pourquoi hypothétique ? >>. Je dis : << Parce que tu es une femme. Que tu peux faire un caprice à tout moment. Tout remettre en question ! >>

 

        << Comme tu es bête. Je ne suis pas ce genre de fille ! >> lance ma complice. Elle me fait plein de bisous. Pour m’empêcher de parler. Il est neuf heures et nous avons droit au soleil. Un magnifique début de journée. << On se fait une virée cet après-midi. Je veux encore en profiter pour être seule avec toi ! >> s'exclame Odélie. Le vieux moulin est au bord de la rivière, à la sortie du bourg voisin. Il est abandonné depuis de longues années. Une grande roue à aubes, vestige d’un autre temps. Il est entretenu par une association de préservation du patrimoine. C’est une magnifique promenade en partant de la maison. Odélie m’écoute, de plus en plus enthousiaste à l’idée de cette nouvelle découverte. Nous partirons en tout début d’après-midi. Mais d’ici là, d’autres plaisirs nous attendent. La vaisselle. Le prétexte du brossage des dents pour déconner devant le miroir de la salle de bain. Une température de 18° en extérieur.

 

        Nos mouvements d’échauffement nous mettent en conditions. Notre jogging nous emmène le long de la rivière. Jusqu’au vieux lavoir. Pompes, abdominaux avant de reprendre le sens inverse. La douche au retour. En prévision de notre escapade Odélie prépare sa jupette noire et son sweat blanc. Mon short beige, mon sweat gris. Pour redescendre nous portons nos jeans, chemises à carreaux, baskets. Au salon, assise sur mes cuisses, elle allume l’ordinateur. Comme les jours précédents, mes mains se livrent à de douces explorations. J’aime poser ma joue contre son dos. J’entends battre son cœur. Et lorsqu’elle parle sa voix résonne dans sa cage thoracique. Ma consultante surfe sur le site SNCF. << Si je ne commençais pas mon boulot mardi prochain, je resterais bien avec toi quelques jours de plus. Mais j’ai plein de trucs à régler chez mes parents ! >> explique t-elle. Ultime vérification des horaires des trains. Elle émet un profond soupir avant d’éteindre.

 

        Nous quittons le salon pour la cuisine. << Des lasagnes ! Ça te dit ! >> s’exclame mon amie en sautillant autour de moi. Si elle savait toute la vie qu’elle va laisser dans cette maison. J’ai la force d’occulter ce qui m’attends dès demain après-midi. Odélie s’occupe de l’assaisonnement de la laitue. Je fais bouillir l’eau salée. Je coupe les tomates, l’ail, l’oignon, les champignons pour faire revenir le tout dans une poêle. Dans la seconde je fais cuire la viande hachée. Elle est encore congelée et part en flotte. Ce qui va s’évaporer rapidement. Ma préparatrice concocte une Béchamel. Elle y rajoute le contenu des deux poêles. J’égoutte les feuilles de pâte. Une couche de garniture, une couche de feuilles, une couche de garniture et ainsi de suite. Une copieuse couche de gruyère râpé par mon assistante. Une couche de Parmesan, graines de sésame, chapelure, sans oublier les cerneaux de noix avec lesquels j’écris son prénom.

 

        Le plat au four préchauffé à 300°. Le temps d’essorer les feuilles de la laitue, de mettre les assiettes, les couverts et voilà la sonnerie du four. Ma complice accroupie devant la vitre à m’observer dans son reflet. Me tournant le dos. M’offrant un instant de fantasme avant d’ouvrir la porte, d’en sortir le plat. Il y aura de quoi réchauffer ce soir. Nous faisons honneur à cette lasagne en la dégustant. La température extérieure de 22° nous aurait permis de manger dans la véranda. Il fallait juste y penser. Mais occupés à nos préparations, à nos bises, à nos caresses, nos esprits vagabondaient dans d’autres sphères. Nous ne traînons pas. Une fois encore c’est le lave vaisselle qui prend le relai. Nous montons nous changer. Des poses devant le grand miroir ovale de la salle de bain. C’est avec impatience que nous dévalons les escaliers. Le nécessaire habituel dans le petit sac à dos. Déformé par nos jeans et sweats. Nous chaussons nos grosses godasses.

 

        C’est parti. Odélie me tient la main. Nous descendons jusqu’à la rivière. Cette fois pour prendre à droite. Le sentier est beaucoup plus escarpé, rocailleux. Les eaux de ce tronçon sont torrentueuses. Ma compagne de randonnée ouvre la marche. Se retourne parfois pour me faire une bise. Je n’admire pas seulement le paysage. Ma libido non plus. Il y a trois kilomètres jusqu’au bourg. Il faut le traverser. Longer le stade sportif, prendre à gauche pour retrouver la rivière. Plusieurs arrêts bisous. Durant le dernier, Odélie me fait part du tourment qui commence à la gagner. Sans qu’elle ne puisse s’en distraire. Il en va de même pour moi. J’en ai même quelquefois la gorge nouée. Il y a encore trois kilomètres dans un environnement bucolique. Les premières teintes rousses le dispute aux vertes encore présentes. Pas un souffle de vent. Il règne un climat d’une douceur étonnante.

 

        << C’est rien que pour nous ! >> s’exclame ma promeneuse en me sautant au cou. Quand nous restons serrés l’un contre l’autre pour quelques baisers fougueux, nos bas ventres restent en contact. La délicieuse gradation d’une excitation qui nous enivre. Le vieux moulin. C’est une haute maison de pierres, restaurée et entretenue. Une image irréelle. Comme la toile qu’aurait peinte un artiste se réclamant de l’école de Barbizon. Je connais bien le lieu. Mais Odélie ne le connait pas. Elle reste comme époustouflée par tant de beauté. La grande roue à aubes ne tourne plus depuis longtemps. Les ressacs de l’eau contre les rochers en lèchent le bas. Ma randonneuse prend quelques photos. Fait un film d’une trentaine de secondes. << Marche le long du sentier s’il te plaît ! >> me fait elle pour rajouter un personnage à la féérie du paysage. Je m’exécute avec le plus grand sérieux. Je serai peut-être le figurant d’un montage Youtube.

 

        Il faut continuer jusqu’au pont pour parvenir sur l’autre rive. La dernière fois que je suis venu par ici, l’entrée de la bâtisse était accessible. Odélie tourne sur elle-même, désireuse de tout voir. Enrichir ses souvenirs d’un nouvel endroit magique. Nous faisons quelques selfies sur le sommet du pont en dos d’âne. Deux arches le soutiennent depuis des siècles. Il y a plus loin, dans les bois, les ruines de l’ancien village. C’est sinistre. Inutile d’aller s’y perdre pour rompre le charme qui nous berce. Rien n’a changé depuis ma dernière visite. Et, miracle, la porte est ouverte. Il faut se pencher pour la franchir. Le haut est rond. Odélie me tient la main. Comme elle le fait à chaque découverte. L’intérieur est moins grand qu’il n’y paraît depuis le pont. Il subsiste là les effluves du passé. Une odeur de beurre rance, de bois et de paille. Le sol de terre battue. L’association a fixé un panneau qui narre l’histoire de ce moulin.

 

        Il y a un escalier. D’une raideur effrayante. Odélie m’y entraine. Je redoute. << Allez, viens, ne fais pas ta chochotte ! Tu me tiens la jupe ! >> lance t-elle en gravissant les premières marches. Je regarde en l’air pour ne pas être sujet à mon vertige récurrent. Je vois le blanc fluorescent de sa culotte de coton. Elle s’en doute. Aussi, elle s’arrête en plein milieu de l’ascension, se retourne pour dire : << Tu vois que ça vaut le coup de me suivre partout ! >>. Je réponds : << Emmène-moi avec toi pour un prochain périple en van ! >>. Elle reprend sa montée en lançant : << À étudier ! >>. Je tiens sa jupe comme un gamin perdu. Nous arrivons à l’étage. Il y a là de grands sacs en toile de jute. Que contiennent ils ? << Du blé ! Incroyable ! >> s’exclame mon exploratrice. Ils doivent peser au moins un quintal chacun. L’un est ouvert. Nous y plongeons nos mains. Le contact à la fois doux et froid des grains de blés. C’est extraordinaire. `

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        Il ne sont certainement pas d’époque. Mystère. Odélie grimpe sur ces sacs. Elle s’accroupit devant moi. Les cuisses largement écartées. C’est un autre vertige qui me gagne. C’est drôle, à chacune de ses initiatives érotiques, je me retrouve tremblant comme un gamin. Le pouvoir qu’exerce la fille au van sur ma psyché reste aussi mystérieux que la présence de cette quinzaine de sacs. Odélie reste ostensiblement dans cette position. Jaugeant certainement une fois de plus mes capacités de résistance. Elle me fixe. Un rayon de soleil éclaire le mur de chaux derrière elle. C’est tout simplement une toile de Johannes Vermeer de Delft. Odélie aurait méritée d’en être le personnage féminin. Quand je le lui dit elle murmure : << Un jour tu feras mon portrait ! >>. J’y ai déjà pensé. << Il t’arrive d’avoir des pulsions un peu folles ? Que tu n'as aucune envie de réfréner ? >> rajoute t-elle en se touchant.

 

        Je recule de deux pas. Je veux contempler cette scène dans la globalité du lieu où elle se déroule. Écartant sa culotte, elle glisse ses doigts sur son intimité. La fille au van change de position. Elle s’assoit. Ses cuisses toujours écartées, sans cesser de se masturber, le dos en appui sur les sacs en hauteur. Mon érection est contrainte. C’est désagréable. Enroulée de traviole dans mon slip. J’ouvre la tirette de mon short. J’en extrait ma turgescence. Je recule encore un peu. Nous nous masturbons doucement en nous observant. Curieusement, ce n’est pas seulement sexuel. Nous sommes tous deux bien plus cérébraux. Ce qui se passe relève de la magie. L’ambiance, l’endroit, la douceur, les sourires que nous échangeons. Un étrange sentiment partagé d’agir ainsi dans une parfaite "normalité". Odélie cesse. Du petit sac à dos que j’ai posé sur les sacs elle tire les pommes, la thermos de thé bouillant.

 

        << Viens ! >> lance t-elle en m’invitant à grimper la rejoindre. Ces pommes n’ont pas le goût du fruit défendu. Elle sont succulentes. Aphrodisiaques peut-être avec leur goût sucré. Odélie retire sa culotte, s’allonge sur le dos. Je saute au sol. Je saisis ses chevilles pour la tirer à moi. Elle m’offre son sexe. Je suis debout. La hauteur est idéale. Je peux prendre mon quatre heures dans les toutes meilleures conditions. Les gémissements de ma complice sont philharmoniques. Pas un bruit si ce n’est celui de la rivière. Si quelqu’un devait arriver nous l’entendrions depuis l’étage. Mais personne ne viendra nous perturber dans nos effusions de tendresses. Ma bouche fouille ses intimités. Aucun secret n’est oublié par ma langue exploratrice. Je sais quand il faut cesser. Reprendre. Afin de faire durer. Les gémissements sont entrecoupés de petits cris d’animal blessé. Nous vivons certainement là, une fois encore, les moments les plus sublimes de nos aventures de ce troisième chapitre.

 

        Une durée non quantifiable. Dans ma position, aucune douleur à la nuque. Aucune douleur aux lombaires. Juste les muscles de ma mâchoire qui exigent quelque tempérances à mes gourmandises. À mes goinfreries. Je sais. Je sens. C’est inéluctable. Le cri que lance soudain ma jouisseuse est le signal. Je me retire. Je suis impressionné par la puissance de ce jet qui vient se briser sur le mur derrière moi. À pourtant trois mètres. Même si elle tente de m’en empêcher en voulant refermer ses cuisses, je pose ma bouche une nouvelle fois. Les contorsions de son bassin, les gémissements qui reprennent. Je sais qu’elle n’opposera pas de résistance plus longtemps. << Viens ! >> finit elle par supplier. Je cesse pour grimper sur les sacs. En appui sur mes bras, au-dessus du corps de ma complice, je la laisse prendre les initiatives nécessaires. Elle saisit ma raideur pour se l’introduire en se mordillant la lèvre inférieure.

 

        Le prolongement de nos plaisirs trouve toute sa mesure dans les transes qui nous unissent. Dans une osmose parfaite, comme si nos corps vivaient hors de nos volontés, en totale indépendance, nous alternons les séquences d’immobilités, d’agitations et de bercements lascifs. Mêlant nos bouches qui elles aussi font l’amour. Au goût de pomme. Nos doigts croisées, aussi intimement imbriqués que nos corps, se serrent. Nos orgasmes sont synchrones. Il est extrêmement rare que je me lâche avec tant d’inconscience. Mon corps, soudain lourd, tombe sur ma complice. Elle me serre encore plus fort en murmurant des choses incompréhensibles. Je veux que cet instant se fige à tout jamais dans l’éternité. Je me tourne sur le côté. Nous restons l’un contre l’autre, silencieux. Reprenant nos esprits en haletant. Difficile de revenir aux réalités. Il va être dix huit heures. Il faut une heure et demi en marchant bien pour revenir.

 

        Nous nous changeons car la fraîcheur de cette fin de journée devient désagréable. Je redescends l’escalier littéralement effrayé. Ce qui fait rire Odélie. Nous reprenons le chemin forestier. J’émets même l’éventualité de faire venir un taxi une fois que nous sommes au bourg. << Mais non, c’est trop bien ! Quelle idée ! >> s’exclame ma randonneuse. Il est finalement dix neuf heures trente quand nous revenons. Morts de faim. Pas de salade ce soir. Les lasagnes réchauffées sont encore meilleures. Le lave vaisselle redevient une fois encore notre allié. Nous voilà vautrés dans le canapé. J’insiste pour revoir la vidéo où la fille au van découvre le lac dans lequel elle se baigne. La fille au van, aussi fourbue et épuisée que moi, s’endort comme hier. Sa tête sur ma cuisse. Ce sont deux zombis qui achèvent un semblant de toilette dans la salle de bain. Les draps du lit nous accueillent pour quelques dernières confidences…

 

 

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19/10/2024

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