L'ECRIT DE JOIE

L'ECRIT DE JOIE

Rencontre impromptue

                                                  Rencontre impromptue

 

        Ce vendredi après-midi est consacré à quelques achats à la FNAC. J’achève ma vaisselle avant l’hygiène dentaire. La météo de ce dernier vendredi d’octobre est médiocre. Le ciel est lourd, gris et bas. Les pluies de la nuit et de la matinée ont détrempé les terrains. La température extérieure est de 16°. Il va être treize heures. Je revêts un de mes Levis "brut". Une épaisse chemise de lin blanche sous mon Perfecto noir. Assorti à mes bottines noires. Je prends des attitudes devant le miroir de la penderie. J’aime beaucoup m’amuser ainsi. Je préfère emporter un petit parapluie. Ce sera plus rassurant. Il me faut récupérer deux ouvrages commandés mercredi. J’envisage également de changer mon Mac. C’est donc optimiste et guilleret que je quitte la maison. Il y a vingt cinq kilomètres à parcourir. En 2014 il y avait encore des lecteurs CD dans les voitures. Je roule doucement. Personne ne m’attend. Je dispose de tout mon temps. Rien ne presse. C’est très agréable d’écouter Brahms en regardant le paysage de chaque côté de la route.

 

        Je gare l’auto sur le parking du centre Leclerc. C’est à dix minutes du centre piétonnier. Je flâne un peu dans les rues pavées. Les vitrines des magasins sont attirantes. Halloween demain soir. Elles sont les seules touches de couleurs dans la grisaille environnante. Un petit tour chez un ami antiquaire qui tient boutique devant la cathédrale. Il a toujours pour moi quelques raretés. Cette fois c’est un coffre en palissandre de Rio, aux ferrures de cuivre, datant du début du dix neuvième siècle. Les initiales NB moulées dans un cercle de lauriers surmonté d’un aigle royal. Je connais bien mon Nicolas. Je sais que lorsqu’il évoque Napoléon Bonaparte en allusion aux lettres NB, ce n’est que pure spéculation. Il finit tout de même par avouer que rien, absolument rien, ne prouve que ce coffre a appartenu à l’empereur. Ou mieux encore que ce coffre l’aurait accompagné durant sa campagne désastreuse de Russie. Nous en rions quand je précise : << Nicolas, à d’autres, mais pas à moi, n’est-ce pas ! >>. Nous bavardons un peu. Je le laisse à ses affabulations pour retourner en balade.

 

        Il y a du monde à la FNAC. C’est vendredi. J’adore le rayon des bandes dessinées. Il y a toujours tant de nouveautés. Mon seul critère reste la qualité du dessin. Je l’apprécie détaillé et fouillé. Un peu à la manière des aventures d’Alix. Ou encore de Blake et Mortimer. Je suis plongé dans l’un des albums de Milo Manara, “Le déclic“, quand soudain une voix que je n’identifie pas immédiatement m’interpelle. << Bonjour ! >>. Je me retourne. Quelle agréable surprise. Je m’écrie : << Laure ! >>. Son sourire témoigne de la satisfaction de m’avoir surpris. Nous nous serrons la main. Ses longs cheveux aux boucles savamment agencées encadrent son visage aux traits fins. Je trouve toujours une certaine préciosité chez cette femme. Elle porte un blouson de cuir brun, une écharpe crème. Un pantalon beige et des bottines brunes. Son élégance naturelle encore rehaussée par celle de sa tenue. << J’ai des commandes à venir récupérer ! >> me fait elle. Je prononce les mêmes mots. << Encore ce hasard qui fait si bien les choses ! >> rajoute la jeune femme.

 

        Nous bavardons un peu. Laure revient sur cette consultation qu’elle me réserve pour lundi prochain. Ce n’est évidemment qu’un prétexte. Je n’ai nul besoin d’une psychothérapie. Nous en rions. Le rendez-vous est fixé à quatorze heures. Dans le cabinet où elle exerce. De surcroît le cabinet est fermé les lundis après-midi. Je suggère de nous retrouver d’ici une petite heure à l’étage inférieur. Je vais aller à la découverte des nouveaux produits Apple. << Ça marche. À tout à l’heure alors ! >> lance la jeune femme. Mon humeur, déjà à l’optimisme, vire à présent à une certaine exubérance. Le rayon des livres de voyages, les albums de photographies. J’adore le noir et blanc. Puis les dernières nouveautés littéraires. Je lis la quatrième de couverture avec beaucoup d’intérêt. Il arrive que ma curiosité m’emmène à acquérir l’ouvrage. Je récupère mes deux commandes. Une biographie fictive de Vermeer de Delft. Une analyse exhaustive de la peinture de Gustave Courbet dont j’apprécie le travail. À contre courant de l’impressionnisme de ses pairs en son époque.

 

        Je descends à l’étage inférieur. La téléphonie, l’informatique, les ordinateurs. J’étais longtemps sur Windows. Depuis quelques années je suis sur Mac. C’est un autre monde. Tellement plus simple, plus sécurisé et infiniment plus fiable. C’est l’année de sortie du nouveau Macbook Pro. J’attends la venue d’un conseiller vendeur. Il connait bien. Il me fait une rapide démonstration. Je suis immédiatement séduit. Je saisis l’affaire. Une promotion de lancement qui ne durera que jusqu’à à demain, 31 octobre. << Beau cadeau pour Halloween ! >> me fait il avant d’aller récupérer mon achat dans la réserve. Pas encombrant, plat, ne pesant que 1660 grammes, je ne serai pas encombré pour le restant de l’après-midi. J’admire les écrans plats et géants des téléviseurs. Le mien fonctionne à la perfection depuis deux ans. Le même modèle est toujours en vente. << Vous avez trouvé je vois ! >>. Je me retourne. Laure tient ses deux livres. Nous regardons un extrait de Matrix diffusé sur tous les téléviseurs de cette partie du magasin.

 

        << J’aime bien cet acteur ! >> me fait la jeune femme. Il en va de même pour moi. J’ai découvert Keanu Reeves dans le film Dracula de Francis Ford Coppola. Je trouve ses interprétations justes et attrayantes. Nous passons en caisse avec nos achats. Nos sachets papier kraft à la main, nous prenons l’escalator. Nous voilà dans la fraîcheur vive de cette fin d’après-midi. Je propose un bon chocolat chaud dans un de mes salons de thé préférés. Laure est enchantée. C’est une salle au premier étage d’une boulangerie pâtisserie très stylée. J’y achète souvent toutes sortes de pains complets et biologiques. Aux noix, aux amandes ou encore aux noisettes. Ce sont six gradins où sont disposées à chaque fois trois tables. Notre choix se porte sur l’une du dernier gradin supérieur. Il y a là une ambiance cosy à la décoration des années cinquante. Ce "modernisme" un peu suranné qui fait le charme d’une époque révolue. Laure revient sur notre randonnée de dimanche dernier.

 

       << Si vous n’avez rien au programme, on peut refaire dimanche ! >> dit elle. Je trouve l’idée parfaite. Je précise toutefois : << Si la météo le permet ! >>. Nous savourons de grands mugs de chocolat chaud et crémeux au lait de soja. En luttant contre la tentation d’une pâtisserie bien alléchante. Les photos sur la carte sont évocatrices. Trop. Beaucoup trop. << Une tranche de tarte aux noix à partager pour avoir la conscience tranquille ! >> suggère mon accompagnatrice. Nous passons commande. Un délice. Nous bavardons. Laure est passionnée par son métier. Elle a en projet la préparation d’une thèse. Concernant le rôle de la psychothérapie chez les jeunes autistes. Je n’y comprends pas grand chose mais j’écoute. C’est la moindre des attentions envers une personne passionnée. Laure s’emporte avec un certain lyrisme dans ses descriptifs. Ce qui me subjugue bien davantage que ses développements, ce sont les expressions de son visage. Les rides infimes qui plissent aux coins de ses lèvres, de ses yeux. C’est magnifique.

 

        Sait-elle que j’entends sans écouter ? Que mes attentions se portent sur d’autres intérêts ? Très certainement. Elle s’amuse de mes regards parfois éberlués devant des concepts inconnus. Laure finit par conclure : << Je cesse de t’ennuyer avec tout ça. Excuse-moi ! >>. Je la rassure : << Je suis à l’écoute même si je n’y comprends pas grand chose ! >>. En souriant elle pose rapidement et un instant sa main sur mon bras pour rajouter : << Tu comprendras un peu mieux lundi. Je t’expliquerais ! >>. Elle s’arrête instantanément pour dire : << Oh pardon, je vous ai tutoyé ! >>. Je réponds : << Surtout continuez. C’est bien mieux ainsi ! >>. Son sourire est adorable. Ses yeux noisettes ont un éclat scintillant aux milles reflets. Son discret maquillage les fait ressortir de la plus belle des façons. << Alors on se tutoie à partir d’aujourd’hui ? >> s’exclame la jeune femme. Je précise : << Sauf lundi après-midi où je viendrai en tant que patient chez sa thérapeute ! >>. Nous rions. Je rajoute : << Tu fais quoi ce soir ? On se fait un restau ? >>. Laure reste silencieuse.

 

        Je continue : << Et un cinéma après. C’est vendredi que diable ! >>. Nul doute que mes propositions séduisent la jeune femme. Que peut-il bien y avoir qui la fasse hésiter autant ? Je l’interroge du regard, attendant ma réponse. << Ce n’est pas ce que tu crois mais j’adore être chez moi en fin de semaine ! >> finit elle par dire. Devant mon air déçu elle s’écrie : << Mais j’aime recevoir. On se prépare un truc rapide chez moi puis on se fait un DVD. Ça te dit ? >>. C’est à mon tour de marquer un temps de silence. Je fais : << C’est tellement inattendu. Mais ça me tente ! >>. Elle pose une nouvelle fois, juste un instant, sa main sur mon bras pour rajouter : << Spaghettis et filets de saumon poêlés ! >>. La jeune femme se lève pour descendre les marches en direction de la porte des toilettes. J’en profite pour appeler la serveuse : << S’il vous plaît, faites-moi un petit paquet avec deux tranches de tarte aux noix. En cachette ! >>. Laure revient. C’est à mon tour. Nous nous retrouvons alors qu’elle feuillette un de ses livres.

 

        L’addition. Laure découvre le bel emballage que me remet la serveuse. Je précise : << C’est le dessert ! >>. Il va être dix huit heures. Nos voitures ne sont pas aux mêmes endroits. << Tu sais où j’habite. C’est la dernière maison du nouveau lotissement. Une des "tranches napolitaines" vanille pistache ! >> m’explique t-elle. Je vois très exactement l’endroit. Je réponds : << Je suis chez toi pour dix neuf heures trente. Ça te va ? >>. Laure s’exclame : << Parfait ! >>. Nous nous séparons. Il fait nuit et le brouillard s’est levé. Les décorations d’Halloween un peu partout rajoutent à l’atmosphère fantomatique. Je récupère la voiture sur le parking. J’hésite. Le centre Leclerc. J’aurais le temps d’aller acheter quelques fruits. Il vaut mieux y aller afin de ne pas être à la bourre. Il est dix huit heures quarante cinq quand je suis chez moi. Je ne peux m’empêcher de brancher et d’allumer mon nouvel ordinateur. La configuration ne prend qu’une dizaine de minutes. Voilà la page Google. Puis la page d’accueil de mon Blog. Tout fonctionne.

 

        Je connecte le disque dur externe qui permet les sauvegardes et les mises à jours régulières. Dans ce domaine, Samsung fait des merveilles. Surtout leurs nouvelles formules SSD. Sans moteur. Ultra rapide. J’envoie mon premier mail à Anne-Marie. Au cas où elle aimerait une soirée webcam je peux ainsi excuser mon absence. J’éteins. Je reste vêtu comme je le suis. Ne pas oublier l’emballage qui contient les tartelettes. C’est parti. Il n’y a que trois kilomètres jusqu’au bourg. Quatre kilomètres jusqu’aux dernières maisons du lotissement. J’arrive pile à l’heure. Un petit coup de sonnette. Le bruit du mécanisme d’ouverture du portillon. Le brouillard est dense. Je discerne à peine les marches de l’escalier après les dalles. La lumière s’allume. La porte s’ouvre. << Tu as trouvé facilement ? >> demande t-elle. Elle me débarrasse de mon blouson. M’invite à la suivre. Je découvre son intérieur. Moderne et décoré avec goût. Les suaves odeurs de la cuisine achèvent de m’affamer. Laure est en survêtement Adidas bleus. Baskets. Look sportif.

 

        Les assiettes, les couverts et les verres sont disposés sur la table. Je n’ai plus qu’à m’assoir. J’admire la cuisine hyper moderne et fonctionnelle. Il y a des fleurs. Des fruits. Nous mangeons de bon appétit en bavardant. Dans le flot de la conversation j’invite la jeune femme à manger chez moi dimanche soir, après la randonnée. << Et s’il fait moche ? >> demande Laure. Je réponds : << Tu viens quand même. Et dès le matin si tu veux. Je te ferai visiter ma demeure ! >>. Elle s’écrie : << Et la tourelle ? >>. Je dis : << Et surtout la tourelle ! >>. Nous en rions de bon cœur. Laure me parle de ses vacances de fin d’année. Dix jours dans un chalet au-dessus de Chamonix. << Rien à voir avec "Les bronzés font du ski". Je détesterai être entourée de tels individus ! Quelle horreur ! >> s’empresse t-elle de préciser. << Non. C’est un chalet quatre étoiles de six petits appartements. Je loue le même aux fêtes de Noël depuis dix ans. Ma vieille amie Clarisse vient m’y rejoindre comme chaque année. On se connait depuis l’université ! >> rajoute t-elle.

 

        J’écoute avec beaucoup d’intérêt. << Et toi, tu fais quoi pour les fêtes ! >> demande Laure. Je réponds : << Comme chaque année, depuis que je suis petit, je suis à Édimbourg, dans ma famille. Enfin dans ce qu’il en reste ! >>. Laure n’a jamais été en Écosse. Elle m’apprend que c’est un des projets prioritaires des prochaines années. << J’ai trente cinq ans. Je veux voir l’Écosse avant d’en avoir quarante ! >> s’exclame t-elle. J’insiste pour faire la vaisselle à deux. Nous quittons la cuisine pour le salon. Des plantes vertes habilement disposées sur des étagères ou encore suspendues au bout de cordes. << Installe-toi, je te fais l’inventaire de mes DVD ! >> dit elle en s’asseyant en tailleur devant l’étagère sur laquelle est posée une chaîne stéréo. << Toi qui aimes Vermeer, tu connais le film "La jeune fille à la perle" ? >> demande Laure. Je l’ai vu il y a quelques années. C’est avec plaisir que je le reverrais ce soir. Laure met le disque dans le lecteur avant de venir me rejoindre dans le canapé. La télécommande dans sa main droite.

 

        Son téléviseur est un grand écran. C’est donc un vrai plaisir de revoir ces images dans des conditions idéales. C’est une fiction élaborée par une jeune auteure, Tracy Chevalier, à partir d’une des toiles les plus célèbre du peintre : "La jeune fille à la perle". Appelée également "La Joconde du Nord". Laure, assise en tailleur à ma gauche, adossée, commente quelquefois une séquence particulière. En faisant des arrêts sur images lors de scènes judicieuses. Toutes les images de ce film plongent le spectateur dans les tableaux des anciens Maîtres Hollandais du dix septième siècle. Un pur joyaux. Une histoire d’amour ambiguë et d’un certain côté, dévastatrice. Le tout enveloppé d’un romantisme original et captivant. Une belle intrigue. Les costumes, les décors ainsi que les acteurs en font un chef-d’œuvre. Méconnu hélas. La soirée est captivante elle aussi. C’est troublant d’être aux côtés d’une telle femme. Est-ce réciproque ? Mystère. Il va être vingt deux heures trente. Je prends congé. Laure met un anorak pour m’accompagner jusqu’à la voiture.

 

        Nous nous serrons la main dans la nuit glaciale. Dans un brouillard à couper au couteau. << Sois prudent. On se voit dimanche. Je t’appelle en matinée en fonction de la météo. Chacun est chargé de proposer un plan B s’il fait moche ! >> conclue Laure. Je m’installe au volant alors qu’elle disparaît en courant. Je démarre. J’évolue sur quatre kilomètres dans une véritable purée de pois…

 

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22/01/2025

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