Une randonnée avec Laure
Une randonnée avec Laure
Ce dimanche matin, au salon, assis à mon bureau, devant l’ordinateur, je m’abstrais dans la finalisation d’un récit. Je dois alimenter mon Blog. Non pas seulement sur la demande parfois pressante de mes lecteurs, mais pour mettre un terme à ce dernier chapitre. Mon imagination, débordante, ne trouve pas champs plus vaste que mes histoires. Je relate des évènements bien réels mais que je me plais à romancer. Cela ne rend pas seulement la lecture plus attractive mais permet d’étoffer les narrations. J’écris toujours et avant tout pour moi. Je suis mon premier inconditionnel et toutes autres considérations me laissent d’une indifférence abyssale. Je regarde par les portes fenêtres fermées. Le ciel est lumineux mais voilé. Rassurante source d’inspiration en ce dernier dimanche d’octobre. La température extérieure est de 18° alors qu’il n’est encore que dix heures. Mon I-phone se met à vibrer. Posé à côté du sous main de cuir gris, je n’ai qu’à tendre la main, m’en emparer. Agréable surprise. Le visage de Laure apparaît à l’écran.
C’est un privilège d’avoir des amies ayant la civilité de confirmer nos rendez-vous. << Bonjour. Toujours partant pour cet après-midi ? >> demande t-elle. Je m’empresse de répondre : << Bonjour. Toujours partant ! >>. La jeune femme rajoute : << J’ai bien étudié l’itinéraire pour vous rejoindre sur le parking du restaurant des collines. J’y serai à l’heure convenue ! >>. Nous bavardons un peu en échangeant quelques lieux communs. Le week-end, la météo, les petits plats préparés et savourés depuis notre dernière rencontre, mercredi dernier. Ce midi, pour elle, ce seront des tomates farcies faites “maison“ avec des nouilles. Pour moi ce seront poulet et frites. Je propose un bon restaurant au retour en soirée. << Bonne idée. À tout à l’heure alors ! >> conclue t-elle. Cette petite entrevue téléphonique me galvanise. Je termine mon chapitre dans une sorte d’allégresse littéraire. Il va être onze heures. Je fais une sauvegarde sur disque dur externe et sur clef USB. J’éteins l’ordinateur. C’est guilleret que je quitte le salon pour la cuisine.
En chantonnant “L’orage“ de Georges Brassens, je prépare mon repas. Enduire le petit poulet du mélange œuf, moutarde à l’ancienne. Saupoudrer de la farine pour former une croûte durant la cuisson. Un must. Le farcir de champignons de Paris coupés en morceaux. De la tomate réduite en purée, mélangée à du gruyère de Comté. Persil, ail, oignon et ciboulette. Posé dans son plat, je l’entoure de ces petites pommes de terre “primeur“ qu’il est inutile d’éplucher après les avoir lavé. Au four électrique préchauffé. Pour faire rôtir la “bête“ à 350°. J’épluche, je lave et coupe les patates avec le coupe frites. Dans l’huile bouillante pour deux bains qui les font magnifiquement dorer. L’assaisonnement de quelques feuilles d’une belle scarole. Il est midi quinze quand je savoure ces délices. Les restes du poulet seront l’accompagnement parfait des spaghettis au Parmesan du repas de demain. Une rapide vaisselle. Je me brosse les dents. La température extérieure est à présent de 19°. Ce sera probablement le maximum de la journée. Je reste avec mon Levis, ma chemise à carreaux bleue. Mes baskets. Je dévale les escaliers.
La gourde isotherme emplie de thé bouillant, deux pommes, les barres de céréales et le K-ways dans mon petit sac à dos. Me voilà prêt. Cette fois, il faut anticiper les fraîcheurs du soir. J’emmène mon anorak. Il va être treize heures. Le temps de sortir la voiture du garage et me voilà parti. Il y a vingt cinq kilomètres à parcourir sur les routes communales désertes. L’avantage de vivre à la campagne. J’arrive vingt minutes plus tard, pensant être en avance. Que nenni. La grosse BMW noire est stationnée à l’écart. Une silhouette féminine à l’avant. Je viens me garer à gauche. La jeune femme tourne la tête. Son sourire est radieux. Elle est belle. Attractive. Ses longs cheveux châtains et bouclés entourent son visage. Lui conférant une certaine préciosité. Laure sort de sa voiture en tenant son sac à dos. Nous nous rejoignons pour nous serrer la main. Elle porte un jeans et un sweat clairs. De "marques". Des baskets en daim. Je la félicite pour son élégance. Nous traversons le parking en bavardant. Laure découvre cet endroit pour la toute première fois.
Je l’invite à me suivre en entrant dans le restaurant. Je réserve une table pour dix neuf heures en précisant que nous ne serons peut-être pas à l’heure. La serveuse me rassure : << Il n’y a jamais trop de monde le dimanche soir en cette saison. Mais vous faites bien de réserver ! >>. Nous voilà à l’extérieur. Le ciel est laiteux. La température de 20° est parfaite pour l’exercice pédestre. L’étroit sentier qui monte jusqu’au pont de pierres. En dos d’âne. Il faut prendre à gauche. J’ai bien préparé notre sortie. Pas question d’emmener Laure sur un de mes circuits "trous". Je ne sais pas mentir et je préfère éviter d’être en situation de devoir le faire. Après le totem des panneaux indicateurs nous prenons à droite. Une centaine de mètres puis à nouveau à droite. Ce sentier est parfois raide et monte aux ruines du château. Aujourd’hui, onze ans plus tard, ce ne sont plus des ruines mais une splendide rénovation menée par le Conseil Général et le Département. Nous évoluons sur d’épais tapis de feuilles qui bruissent sous nos pas. J’ai affaire à une sportive.
Marcher d’un bon pas dans cet environnement automnale est un plaisir rare. Laure ouvre notre avancée. J’apprécie d’être à l’arrière. Pas seulement pour la vue, magnifique dans le cas présent, mais pour pouvoir m’adapter au rythme. Celui de Laure est régulier. Le sentier grimpe. Nous ne parlons pas beaucoup, gardant notre souffle pour l’effort. Mon petit sac à dos est de la marque Quechua. Je viens de m’apercevoir que celui de mon accompagnatrice est de la marque Vuitton. Splendide mais un peu "décalé" en forêt. Cela me fait sourire. J’adore la compagnie de belles bourgeoises élégantes. Même si là, dans cette nature sauvage, cela prête à mon amusement. Je m’abstiens toutefois de toutes réflexions. Laure s’arrête à la croisée des sentiers balisés. << J’enregistre et je mémorise. C’est un endroit superbe. En hiver, sous la neige, chaussé de raquettes, ça doit être magique ! >> dit elle. Nous continuons. Le premier col permet d’apercevoir le petit lac en contrebas. Les arbres presque nus offrent une vue sans obstacles visuels. De son sac à dos, Laure tire un Nikon. Je reconnais l'hybride Z8.
Elle prend quelques photos en commentant le paysage. Je me sens bien auprès de cette personne. Il faut compter une heure trente pour arriver aux ruines. Elles sont impressionnantes. Le pont qui traverse les douves aux eaux croupissantes. << C’est d’un romantisme fou ! >> lance la jeune femme en découvrant l’endroit. Du lierre tapisse le bas des hautes murailles crénelées. Il faut passer sous l’arche romane pour se retrouver dans l’enceinte de la forteresse. Quatre tours flanquent les angles du château. Il y a des promeneurs. Ces tours sont inaccessibles. La plus grosse. Le donjon. Il faut gravir un large escalier pour arriver devant une porte à la voûte gothique. L’accès est condamné par une épaisse grille de fer rouillé. Assis sur les marches, nous tirons nos collations des sacs. Qu’il est agréable de grignoter dans ce lieu à la fois étrange et rassurant. Laure à ramené des fruits secs. Abricots et poires. Nous procédons aux échanges en savourant le thé encore hyper chaud. << Je ne suis pas très bavarde quand je suis dans la nature ! >> dit elle.
Je la rassure. C’est parfait. << Je ne suis pas passéiste non plus. Évoquer des souvenirs me lasse ! >> rajoute encore la jeune femme. Tout pour me ravir ! Je partage complètement cet axiome. Il y a un grand chien qui vient nous rendre une visite pleine de curiosité. En fait il vient quémander quelques friandises. Le bougre semble raffoler de mes barres de céréales à la banane. Il n’en faut pas davantage pour nous en faire un nouvel ami. Il s’assoit entre nous pour contempler l’animation. Il y a de petits groupes de randonneurs. J’aime bien parler aux oreilles des animaux. Il fait bouger les siennes en me jetant des regards vifs. Probablement un chien berger Allemand. Magnifique. Il appartient à ce couple qui prend des photos. Notre nouvel ami n’attend qu’un geste pour les rejoindre. D’un bond, il saute pour nous quitter quand la dame fait signe de la main. Il va être seize heures. La température baisse inexorablement. Nous enfilons les K-ways. Celui de Laure est une veste au logo Pierre Cardin. Ce raffinement supplémentaire m’amuse.
Le mien est de chez Décathlon. Quechua. Juste le look qui est différent. Peut-être est-ce par télépathie mais c’est comme si Laure avait lu dans mes pensées. << J’aime un certain luxe. Et puis il faut bien que je dépense mon argent ! >> lance t-elle en mettant son sac sur le dos. Je me contente de dire : << Bienvenue au club ! >>. Nous redescendons l’escalier pour faire le tour de la vaste cour, sous les remparts. Il y a des jeunes tout en haut. Comment Diable sont-ils montés sur le chemin de ronde ? Nous franchissons la poterne qui donne sur une passerelle métallique. Il faut franchir les douves larges ici d’une dizaine de mètres. J’hésite. Prendre le sentier qui descend vers le lac pour le contourner est un détour. Il allonge l’itinéraire d’une vingtaine de minutes. << Nous avons nos lampes frontales. Où est le problème ? >> s’exclame la jeune femme. J’ai affaire à une randonneuse expérimentée. Je n’ai jamais fait de hautes montagnes. Alors qu’elle me parle de pierriers dans les Alpes. De congères et de glaciers. Elle rajoute, d’un ton assuré, en prenant le sentier : << Suivez le guide ! >>
Il n’y a pas le moindre souffle de vent mais la température chute drastiquement. Le K-ways de Laure est doublé. Pas le mien. C’est un peu juste. De marcher dans la descente ne fait pas transpirer. Le seul effort consiste à maintenir son équilibre. Ça ne réchauffe donc pas. Les eaux noires du lac reflètent le crépuscule qui s’annonce. Les haut sapins noirs rendent les environs lugubres. Laure prend quelques photos. << Je vais les mettre en ligne sur mon Blog dès ce soir, après la douche ! >> précise t-elle. Je n’ose pas demander le lien de son Blog sous peine de devoir donner le mien. Par politesse. Son caractère érotique ne prête pas forcément à n’importe quel échange. Je ne connais Laure que depuis peu. Je m’abstiens. Mais une fois encore mon accompagnatrice semble avoir lu dans mes pensées. << Je t’enverrai le lien par mail. Comme ça tu pourras découvrir des centaines de photos de montagnes ! >> dit elle en rangeant son appareil. Je suis en apnée, dans la crainte qu’elle ne me demande la réciproque. Mon ange gardien veille sur moi, Laure ne me demande rien. Merci Nemamiah.
Il faut à présent marcher dans la nuit. Seule Laure porte sa lampe frontale puisqu’elle ouvre la voie. La voilà plus loquace en me parlant de sa jeunesse. J’apprends qu’elle faisait de l’équitation, du tennis, qu’elle pratiquait le tir. Je suis admiratif. En écoutant tout cela je me rends compte à quel point c’est en parfaite adéquation avec sa personnalité. << Mon mari était docteur, médecin du sport ! Il avait quelques célébrités du milieu sportif dans sa clientèle ! >> précise t-elle. Je me contente d’écouter. Il est pile dix neuf heures quinze quand nous sommes de retour aux voitures. Nous y laissons nos sacs à dos. Je quitte mon K-ways pour l'anorak. Quand c’est une première randonnée, on s’isole toujours pour les besoins naturels. En se retenant au maximum. << Je vais enfin pouvoir faire un vrai pipi ! >> lance Laure quand nous nous dirigeons vers le restaurant. Je rajoute : << Moi aussi ! >>. Sur la quinzaine de tables, seules une dizaine sont occupées. La nôtre nous attend à côté de la porte vitrée qui donne sur la terrasse. On aperçoit les lampes des derniers randonneurs au dehors.
Cet établissement présente une particularité charmante. Sur chacune des tables nappées de blanc, il y un chandelier à trois branches. Trois bougies qu’allument la serveuse en nous apportant la carte. Ce sont les seules sources lumineuses dans cet environnement de pierres de taille. Un plafond de chêne aux poutres apparentes. Un parquet de chêne vitrifié. << Pipi ! >> lance Laure en se levant. J’étudie les menus proposés. Quand elle revient c’est à mon tour. Nos choix se portent sur des pommes de terre farcies à la viande hachée. Du bœuf, accompagné de haricots verts et de petits pois. Ce sont principalement des menus "montagnards". Point de cette cuisine moderne aux défilés d’assiettes sur lesquelles il y a un champignons minuscule. Sur la suivante une asperge maigrichonne à côté d’une ridicule crotte de mayonnaise. Non. L’endroit est fait pour manger. Pour s’en mettre plein la panse et à la bonne franquette. Ce qui est également la préférence de ma partenaire. << En montagne on apprend à manger de tout ! Et souvent n'importe où ! >> dit elle.
Pas de musiciens pour nous enchanter les dimanches soirs. Dommage. Les spectacles n’ont lieu qu'en soirée les samedis. Nous mangeons de bon appétit en faisant le bilan de l’après-midi. Laure me parle un peu d’elle. Éclairant ainsi les dernières interrogations légitimes que sa personnalité suscite. Je ne pose aucune question. Le flot de ses paroles se déroule de manière naturelle. Je m’en délecte. Elle revient sur sa passion de la montagne. Envisageant de s’installer un jour à Chamonix. Elle se pose la question à elle même : << Mais ont-ils besoin là-bas d’une psychothérapeute ? >>. Elle m’interroge du regard. Que pourrais-je bien répondre ? Elle se répond : << De se constituer une clientèle prend du temps. Ici, j’ai hérité de celle de mon prédécesseur. Et ça marche vraiment bien ! >>. Voilà les coupes glacées. Vanille, pralin et pistache. Une gaufre triangulaire plantée dans une des trois boules. Qu’il est agréable de traîner à table après quatre heures de marche.
<< Piscine mercredi ? >> lance soudain mon interlocutrice. Du tac au tac je réponds : << Piscine mercredi ! >>. Une façon subtile de nous y fixer rendez-vous. << Dites-moi William, avec franchise, vous me supportez ? >>. Je ris en ouvrant de grands yeux. Voilà une bien étrange question. J’adore l’entendre articuler mon prénom. Il coule toujours dans la bouche des femmes qui le prononcent. Je finis par répondre : << Laure, vous êtes insupportable, hautaine, désagréable et pénible ! >>. Nous éclatons de rire en même temps. Attirant l’attention des clients encore présents. Au fur et à mesure qu’ils quittent, les bougies s’éteignent. L’ambiance devient de plus en plus intime. << D’un romantisme exacerbé ! >> précise Laure. Je regarde la pierre verte de sa bague dorée. Une grosse émeraude ovale. Assortie à ses yeux noisettes. C’est vrai que cette ambiance est propice au romantisme. << Au flirt peut-être ! >> rajoute la jeune femme. Je dis : << Restons entre gens sérieux ! >>. Nous rions une nouvelle fois aux éclats. Peut-être l’effet de l’eau San Pellegrino.
Un bon café achève cette soirée de ses saveurs. << Vous commencez votre semaine comment demain ? >> demande Laure. Je fais un rapide timing du déroulement de mon planning : << Comme je vous l’ai dit, je suis un privilégié. Je traverse l’existence en dilettante. Je ne me consacre qu’à mes passions. Mon notaire et mon comptable s’occupent de tout le reste ! >>. Laure insiste : << Oui, je vois, mais précisément, demain ? >>. Je réponds : << Une heure d’entraînement dans ma salle équipée, un jogging, la douche. Puis peinture dans mon atelier. J’attends la livraison du fioul et du bois dans l’après-midi. Et pour tout vous avouer, il m’arrive parfois de m’ennuyer copieusement. Alors je me réfugie dans l’écriture ! >>. Je me rends compte que Laure m’entraîne sur ce terrain que je voulais éviter. Je conclue : << Parler de moi est d’un ennui. Si vous saviez ! >>. Elle me fixe longuement, en silence. Elle me jauge. Les derniers clients quittent la salle. Il est vingt et une heures trente. N’allons pas imposer au personnel nos présences encore plus longtemps.
L’addition. Au grand soulagement que nous devinons chez la serveuse. Il fait froid dans la nuit noire. Juste le lampadaire du restaurant à une cinquantaine de mètres. << Bon ! On se voit mercredi alors ? >> fait Laure en ouvrant la portière de sa voiture. Je réponds : << On se voit mercredi ! >>. Elle rajoute : << Merci pour cette journée. Merci pour le restaurant. La prochaine fois c’est moi. Je déteste me sentir redevable ! >>. Je m’empresse de conclure alors qu’elle me tend la main : << Vous n’êtes redevable de rien. Je suis très « vieille France“ et un parfait gentleman à l’ancienne ! >>. Nous éclatons de rire en nous serrant la main. La jeune femme s’installe au volant. Je fais de même. En démarrant nous nous adressons un dernier signe. Nous nous suivons sur la route sur une vingtaine de kilomètres. Je roule derrière son auto. Un appel de phares au carrefour, alors qu’elle tourne à droite en direction du bourg. J’arrive chez moi pour vingt deux heures. Fourbu. Pas de douche. Une rapide toilette. J’allume l’ordinateur. Pas de messages…
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