L'ECRIT DE JOIE

L'ECRIT DE JOIE

Vers Quéménéven

                                                        La séparation

 

        Odélie s'est réveillée deux fois dans la nuit. Me tirant du sommeil pour me confier ses émotions. Son nouveau départ, aujourd'hui, agit sur nos psychés comme la plus dévastatrice des séparations. Un évènement inéluctable. Une déchirure. Quand elle m'en fait part la première fois, aux environs de trois heures du matin, je suis insidieusement envahi des mêmes affres. Nous retrouvons rapidement le sommeil en nous serrant fort. Puis c'est un second épisode vers cinq heures. L'impérieux besoin naturel nous fait trottiner jusqu'aux toilettes. Je la soulève pour la ramener, comme une jeune mariée, dans la chambre. Je la dépose sur les draps pour l'y rejoindre. Nous nous aimons dans les voluptés rares que seuls procurent les sentiments élégiaques, à l'approche d'un évènement douloureux, sinon traumatisant. Nous nous rendormons dans cette fausse insouciance, momentanément régénératrice, qui suit les plaisirs des sens. Pour nous réveiller à nouveau alors qu'il va être neuf heures. La faim au ventre nous tenaille.

 

        Dans un bond Odélie se lève pour se précipiter vers la porte. Je vais ouvrir la porte fenêtre. Le ciel reste obstinément couvert. La température reste toutefois très supportable, juste vêtus de nos T-shirts de nuit. Ma complice vient me rejoindre pour se blottir dans mes bras. << Je ne pars pas ! >> dit elle en se serrant encore plus fort. Je l'entraîne par la main jusqu'à la cuisine. Chacun dans son rôle, nous préparons un copieux petit déjeuner. Odélie recommence à chantonner. C'est rassurant. C'est une jeune fille dynamique, emplie de joie de vivre et d'entrain. Cette force de la nature reprend le dessus après ses quelques épreuves nocturnes. Elle me saute au cou en riant, en disant : << Merci d'exister. Merci de partager mes inquiétudes ! >>. Je dépose une première bise sur son front, une seconde sur le bout de son nez, une troisième sur ses lèvres. Odélie place les bols devant la chaise. Assise sur mes genoux, c'est ainsi que nous mangeons.

 

        Nous revenons sur notre sortie à la Pointe du Raz, hier. Il fait un peu le même temps mais beaucoup moins venteux. << Je préfère devoir partir avec une météo merdique qu'avec un soleil. Ce sera moins difficile ! >> me confie t-elle. Quand nos lèvres se frôlent, entre chaque tartine, elles sont sucrées et collantes. La bonne humeur a repris ses droits. C'est communicatif. Nous traînons à table. Nous occultons tous les deux l'échéance qui nous attend. Comme si rien ne devait arriver dans la journée. Comme si cet après-midi nous allions vers de nouvelles découvertes. Faussement insouciants nous faisons la vaisselle. Nos clowneries habituelles devant le miroir de la salle de bain, en nous brossant les dents. De la mousse autour de la bouche, mimant une fellation avec sa brosse, une bosse à l'intérieur de la joue, Odélie me fait un clin d'œil. Avant de se rincer en tenant son gobelet, elle demande : << Tu as aimé ce que je t'ai fait hier sur le port ? >>

 

        Nous éclatons de rire car sa bouche est encore pleine de crème dentifrice et ce qu'elle tente d'articuler est à peine compréhensible. Je dis : << Tu es adorable ! >>. Tête contre tête, nous nous rinçons au-dessus du lavabo. Nous quittons nos T-shirts de nuit pour revêtir nos tenues de jogging. Pressés d'aller nous livrer à ce second plaisir de la matinée, nous dévalons l'escalier. Quelques sauts sur place. Quelques flexions du buste. Quelques pompes et nous voilà partis. Le long de notre circuit quotidien. Sous la douche, nous adorons faire glisser nos corps savonnés l'un contre l'autre. C'est une sensation "fuyante" qui nous ravi. Odélie porte sa jupe de fin velours carmin, légèrement évasée au-dessus du genoux. Un sweat de fin coton brun. Je suis en bermuda kaki, sweat de coton noir. Nos baskets. Pressés d'aller faire le tour de nos connaissances sur la place, nous redescendons à toute vitesse. Dans le potager, Claude qui cueille des tomates.

 

        << Alors ? C'est le jour du départ ? Vous avez aimé ce séjour à Locronan ? >> demande t-elle. Odélie s'empresse de la rassurer. << Vous mangez avec nous à midi ? >> propose encore Claude. Préférant passer le temps qui nous est compté ensemble, en nous excusant, nous déclinons son invitation. Elle ne s'en offusque nullement en concluant : << Je comprends. Comme le dit le dicton, les amoureux sont seuls au monde ! >>. Nous la laissons à ses cueillettes pour descendre la rue. Ce soir, comme tous les mardis d'été, il y aura le "marché aux étoiles". Ma compagne de vacances déplore de ne pouvoir en être. Je dis : << Je ferai des photos pour toi ! >>. Je prends mon avion demain matin, mercredi, pour rejoindre d'autres membres de ma famille en Écosse, à Édimbourg. << Tu m'emmènes ? >> lance Odélie en m'attrapant le bras. Je réitère ma proposition d'y passer trois semaines ensemble, l'année prochaine. Elle reste évasive. Une année à attendre. Il s'en passera des choses d'ici là...

 

        Il y a du monde partout. L'animation qui règne sur la grande place pavée est toujours surprenante. Nous faisons le tour de nos connaissances. Mes cousins ont adopté ma complice. Il y a des connivences, des bons mots. Une admiration peut-être. Je suggère que nous prenions une belle et grosse miche de pain aux noix, des croissants aux amandes et surtout de ce kouign amann tout frais chez madame Marthe, notre boulangère adorée. Odélie emmènera tout ça avec elle. Dans la file d'attente, nos mains s'égarent discrètement dans nos vêtements. C'est très excitant. Nous suscitons encore bien des interrogations parmi quelques clients. Quand nos lèvres s'effleurent dans les effluves parfumées des brioches, des gâteaux et des pains tous chauds. Odélie décline ma proposition de réserver une table. << On mange à la maison. Je veux profiter de ces dernières heures, seule avec toi ! >>. Je comprends et je m'excuse de ma bévue. J'ai les bras chargés. Les siens autour de ma taille. Nous remontons la rue, un peu comme dans la parabole de l'aveugle et du paralytique, en marchant ainsi, difficilement. C'est drôle.

 

        Odélie s'occupe de l'assaisonnement du dernier concombre. Je fais bouillir les spaghettis. Les deux escalopes de dindes rissolent dans la poêle. La fille au van râpe une quantité industrielle de Parmesan. Son départ pour seize heures semble à présent parfaitement assumé. Nous sommes des adultes. Il faut prendre les évènements à bras le corps. Facile à écrire, moins facile à assurer. Nous mangeons de bon appétit en faisant le bilan de ces dix jours passés ensemble. << Il y a des gens qui sont d'une compagnie agréable. D'autres qui deviennent nécessaires ! >> lance t-elle en se levant pour venir s'installer sur mes genoux. << Tu partages rarement tes ressentis. Et toi, c'était bien avec moi ? >> s'exclame t-elle. En mitraillant son visage de bisous je réponds : << C'était encore mieux ! >>. Odélie, pugnace, revient à la charge avec cette question récurrente : << Dis-moi tout, la fille dont tu es le garde du corps. Tu la revois quand ? >>.  Je réponds : << Je garde le silence, de peur qu'il ne s'en aille ! >>

 

        Plus sérieusement, ma seconde réponse reste la même : << Je ne peux pas en parler. Quand tu es garde du corps tu es astreint par contrat au secret ! >>. Elle insiste : << Si tu me dis qui c'est, je te dis qui est mon garde du corps ! >>. Je réponds : << Je ne veux pas le savoir. C'est un autre aspect de ta vie. Je ne suis pas curieux de nature. Ce qui importe c'est nous deux, là, maintenant. Au diable tout le reste ! >>. Odélie reste un moment silencieuse. Elle finit par lancer : << Tu as raison. Le reste n'a que peu d'importance ! >>. Nous débarrassons pour faire la vaisselle. Il nous reste trois heures à profiter de chaque instant. Tirant une cordelette d'un tiroir du buffet, Odélie me la tend : << Empêche-moi de partir, attache moi sur une chaise, au radiateur ou n'importe où ! >>. Nous rions. Elle joint ses mains. Comme hier, je les lie ensemble, mais dans son dos. Je saisis ses cheveux que je tiens en queue pour l'entraîner dans la chambre. Je la fais s'assoir sur la chaise. Elle me regarde de ses yeux grands ouverts. Je prends un tissu pour bander ses yeux. Il me vient une idée. Et si par un comportement déviant, je me rendais détestable ? Cela rendrait-il cette séparation plus gérable ?

 

        Cela mettrait fin à tous nos tourments. Je garde ces pensées pour moi. Je force Odélie à se relever pour placer la chaise à l'envers, le dossier entre ses cuisses qu'elle doit ainsi garder obligatoirement écartées. Sa respiration se fait saccadée. Je devine les pensées qui l'envahissent. Surtout que nous sommes devenus télépathes. Je m'accroupis devant la chaise. La vision du coton blanc presque fluorescent de sa culotte me fascine. Je tends mon bras pour y passer l'extrémité de mon index. C'est si doux. Odélie émet un léger gémissement. J'insiste en restant très exactement sur l'endroit de son clitoris. J'aime la voir tortiller doucement du bassin. Je caresse l'intérieur de ses cuisses. << Willy ! >> murmure t-elle à plusieurs reprises. Je murmure : << Tu n'as pas seulement trouvé le chemin de mon cœur mais également celui de mon âme ! >>. Je n'entends plus que des : << Mmhh ! >>. Mon bonheur n'est plus que successions d'émotions.

 

        La durée de mes caresses nous échappe. Je me redresse. Je descends la tirette de ma braguette. J'en extrais mon sexe. Je passe mes doigts sur les joues de ma belle "captive" gémissante. Je me penche parfois pour chuchoter une douceur à son oreille. << Je suis si bien avec toi. Tu es adorable. Mon petit trésor en sucre ! >>. Ces mots qui la font glousser, rire, sont incontrôlables. Je les murmure mécaniquement. Je me redresse. Odélie ne se doute pas immédiatement que ce ne sont plus mes doigts qui passent sur son visage. Quand elle s'en rend compte, elle a un léger mouvement de recul. Un réflexe bien légitime. Avant d'émettre un profond soupir, puis un long gémissement. C'est mon sexe que je frotte sur son visage. Par cette attitude, je souhaite de tout mon être qu'une réprobation pousse Odélie à une réaction. Que ce soit une réaction de rejet serait alors peut-être une sorte de libération. Il serait plus simple de la faire quitter mon esprit de sa présence obsédante. Un soulagement. J'en suis presque à le souhaiter. Mais ce moment de surprise que je désirais désagréable exerce un effet contraire. Je suis "fait" ! Comme un rat...

 

        Je me montre plus téméraire encore en frottant mon sexe sur ses lèvres qu'elle tient obstinément serrées. J'insiste. Ses yeux bandés, ses mains liées dans son dos, les mouvements réguliers qu'elle imprime à son bassin, ses gémissements, tout cela m'enivre. Suis-je seul à être ainsi enivré ? Odélie ouvre soudain la bouche pour me recevoir. Mon cœur s'effondre au fond de ma poitrine. Je pose mes mains de chaque côté de sa tête. C'est pour ne pas tomber. Car l'instant est vertigineux. Je regarde ses joues se creuser par l'effort de succion. Ses gémissements ne sont pas de dépits, de souffrances ou encore de mécontentements. Je prends soudain conscience que je viens de rater mon coup. Ce n'est pas de cette façon que je la ferai se détourner de moi. Peine perdue. Je me retire. J'enlève le tissu qui occultait ses yeux. Son sourire est désarmant. Quand elle lance : << Salaud ! >>. Je délie ses mains. Elle se lève pour m'entraîner sur le lit.

 

        Nous faisons l'amour avec une fougue nouvelle. Incomparable. Aurai-je ouvert une boîte de Pandore ? Ce n'est plus seulement la passion qui nous anime, mais la folie. Cette découverte décuple nos élans. Ce n'est plus de la passion, c'est de la rage. Nos orgasmes sont une parfaite symbiose. Une synchronicité totale. Nous aimerions nous endormir ainsi pour prolonger nos enchantements paradisiaques. Mais la raison nous l'interdit. Il va être quinze heures. Odélie, maîtresse de la situation, se lève d'un bond. Après un tour aux toilettes, il nous faut nous préparer. La fille au van récupère son linge sec. Réunit ses affaires. Je l'assiste en suivant ses directives. Une fois encore j'admire ses capacités d'organisations. Rien n'est laissé au hasard. Son grand sac de sport est plein et fermé. Nous restons deux minutes sur le balcon. << J'étais si bien ici. Tout va me manquer ! >>. Elle se tourne vers moi pour s'écrier : << Willy, je.... >>. Je pose une nouvelle fois ma main sur sa bouche en murmurant : << Interdiction de dire une bêtise ! >>. Elle enfonce sa langue dans ma bouche. Nos mentons sont à nouveau rapidement trempés. Nous n'aurons pas l'occasion d'apprendre à nous embrasser proprement.

 

        Nous descendons l'escalier comme des condamnés qui monteraient à l'échafaud. Nous toquons à la porte. Oncle Norbert et Claude nous invitent à entrer pour un dernier café. Nous déclinons leur invitation. Odélie les remercie pour l'accueil, leur gentillesse. Ils nous accompagnent jusqu'au van. Il est convenu que je resterai assis sur le siège passager jusqu'au croisement de la route qui mène à Quéméneven. À trois kilomètres. Je sais que le retour à pieds participera d'une thérapie bien nécessaire. Je redoute les terreurs nocturnes qui vont m'accabler. Celles qui précéderont mon départ pour Édimbourg, demain. Odélie roule doucement. Je caresse l'intérieur de ses cuisses. Sa peau est bouillante. Soudain, elle se gare le long de la route déserte. << Je te remercie. Je te remercie pour tout. Je crois bien que j'ai passé les plus belles vacances de ma vie avec toi ! Tu es généreux jusqu'à la prodigalité. Tu as des élans parfois dispendieux. Mais ils ne sont qu'apparences quand on ne te connait pas. Et maintenant je te connais ! >>. Je regarde son visage dont les traits sont devenus "célestes". Je la sens si sincère. J'en suis bouleversé.

 

        Il ne faut plus que nous nous embrassions. Nos forces sont revenues. Nous saurons nous montrer forts et puissants devant cette fatalité. Devant cette échéance finale et sans pitié. Odélie démarre pour reprendre la route. Quand elle s'arrête au croisement, je sens le tranchant de la lame. Serai-je vraiment aussi fort que je le crois ? Un dernier bisou, comme si nous n'étions que des amis. Cruauté sans équivalente, mais nécessaire. Je descends du véhicule. Je reste sur le bord de la route, sous les premières gouttes de pluie. La fille au van s'en va vers de nouvelles aventures. Je suis trempé comme une souche en arrivant sous une pluie battante. Dans l'appartement silencieux, je me sens perdu. Tout un monde s'effondre. Je me mets à parler tout seul. À demander : << Tu aimerais manger quoi ce soir ? >>. << Ça te dit d'aller au port de Douarnenez ? >>. Je suis perclus de douleurs, couché sur le ventre, ma tête sur la taie trempé de l'oreiller d'où émanent les parfums de mon "fantôme"...

 

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08/09/2024

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